Un des pays militairement le plus puissant du monde s'apprête à évacuer un territoire conquis dans la plus totale illégalité, il y a trente-huit ans. Grâce à son armée, Israël a envahi un territoire qui ne lui appartenait pas, l'a enfermé dans la logique de la conquête sacrée du Heretz Israël et l'a livré sans état d'âme à des colons « outils de dieu ». Le pays le plus arrogant du monde est amené à faire marche arrière. Est-ce la politique de son allié inconditionnel américain qui l'y a conduit? Est-ce la pression de la machine onusienne? Est-ce une soudaine prise de conscience des malheurs du peuple palestinien? Non, rien de tout cela, évidemment. Israël a aujourd'hui conscience que sa présence à Gaza est intenable et prévient, avec l'esprit pratique qu'on lui connaît, un conflit sanglant dans le territoire et une éventuelle guerre civile à l'intérieur même d'Israël « reconnu ». La seule raison en a été la résistance palestinienne.

Il y a quelques jours, le gouvernement indonésien, dont on connaît l'intransigeance (que pouvait-il inventer de plus sanguinaire après l'épouvantable scénario timorais ?) donnait généreusement une large autonomie aux indépendantistes d'Aceh, leur conférant un confortable statut d'autogestion, du drapeau à la gestion des ressources pétrolières. Cette fois encore, le gouvernement indonésien a joué de prudence, faisant l'économie d'une guerre, préférant voir flotter un autre drapeau, plutôt que perdre définitivement le contrôle du territoire. Mêmes effets, mêmes résultats.

Aujourd'hui, un journaliste marocain s'adresse à son roi (v. Journal Hebdo 219), et se targue de lui donner des conseils. Il commet l'affront, à l'instant même où le piteux monarque s'enferme dans un comportement infantile et impuissant de totale négation, de l'inviter à plus de démocratie, pour que les Saharaouis, séduits, n'aient plus qu'à se jeter dans les bras de cette démocratie-là. Les journalistes marocains sont-ils sérieux? Ont-ils fait des études? Ont-ils lu l'histoire du monde? Sont-ils, eux aussi, sourds et aveugles? Et d'abord, de quelle démocratie parle Monsieur Aboubakr Jamaï? De celle qui s'épanouit dans les banlieues de Casablanca? Celle qui enferme le plus timide opposant dans des culs-de-basse-fosse qui n'ont rien à envier aux bagnes inhumains de Hassan II? Celle qui répand sa suffisance et sa graisse sur les banquettes du Parlement béni oui oui ? Le Maghzen va-il franchir le dernier pas, celui de l'absurdité, de la négation de l'Histoire et des droits de l'Homme? Aura-il l'indécence d'avancer un jour qu'il est au Sahara Occidental car c'est la volonté de dieu, ainsi que le proclament les intégristes juifs à Gaza ? .

La lettre est instructive en elle-même: elle signe la perte de cohésion de l'opinion marocaine, le décalage qui existe entre le discours officiel --- c'est-à-dire celle du roi, agrippé désespérément à son trône- et celle des masses, lasses de ce regain d'obscurantisme, de l'éternelle fuite en avant et de l'isolement diplomatique total dans lequel le Maroc s'est enfermé. Merci donc à Aboubakr Jamaï, car, à sa façon, il révèle d'éblouissantes vérités aux Marocains: le Maroc n'est pas Israël, même pas l'Indonésie. La politique marocaine est encore plus suicidaire, autiste, réactionnaire encore que dans ces deux pays. Une autre vérité -mais les Marocains ne le savaient-ils pas déjà- é'est que les Saharaouis refusent la « démocratie» à la marocaine, aussi bien celle de la carotte que celle du bâton.

Continuez, Marocains! Vous êtes sur la bonne voie! Il ne vous reste plus qu'à assassiner quelques malheureux Saharaouis dans vos geôles, à Oukacha ou à Témara, pour que le monde apprécie une fois pour toutes le genre de démocratie que le Maroc prétend apporter aux territoires conquis par le vol.

L'an prochain à El Aiun.

DIEGO

reçu le 20.08.05

[autres tribunes de Diego : Le propre du colonisateur - Humanisme à la marocaine - Mémorandum et quoi encore? ]