Le gouvernement
marocain viole les droits de l'homme à El Ayoun
Témoignage
d'une visite effectuée dans la capitale du Sahara Occidental
par un groupe de prêtres espagnols du 3 au 5 août
2005
[original
paru dans Canarias
ahora
, traduction en français de Martine de
Froberville]
Nous sommes
arrivés à El Ayoun le mercredi 3 août vers 17h15.
Le premier soir nous avons remarqué qu'une voiture avait fait
deux tours près de nous et que son conducteur, à un
autre moment, s'était promené devant nous, d'où
nous en avons déduit que la police secrète avait
commencé la filature à laquelle nous nous attendions et
dont nous avions été avertis. On ne nous laissait pas
prendre des photos, pas même des choses des plus anodines ;
toutes celles que nous avons prises de l'extérieur, l'ont
été hors de la ville ou depuis l'intérieur de la
voiture en catimini.
Notre visite
répondait à notre préoccupation suite aux
informations de violations des droits humains dans la zone
occupée du Sahara Occidental de la part de la police et de
l'armée marocaine répercutées par les moyens de
communication espagnols et qui affectaient la population
sahraouie.
El Ayoun
est une ville assiégée
El Ayoun est
une ville occupée par l'armée marocaine ; il y a des
militaires dans tous les quartiers et à tous les coins de rue.
C'est la même chose avec les trois catégories de police
en uniforme que nous avons pu y voir : les uns aux uniformes bleu
foncé et casquettes bleues avec un liseré à
carreaux rouges et blancs, que les Sahraouis appellent « Croates
» pour la similitude des uniformes ; d'autres en uniforme plus
ancien ; et la police secrète.
Le soir, la
sensation de ville occupée augmente. Les policiers, surtout
ceux qu'on appelle « les Croates », occupent les rues
principales. On voit deux policiers dans chacune d'elles et un
fourgon chaque deux ou trois rues, c'est pourquoi nous n'avons pu
prendre de photos à aucun moment.
La
présence de policiers et de militaires s'étend à
toute la ville mais spécialement dans les quartiers
habités majoritairement par des Sahraouis, c'est la raison
pour laquelle toute concentration ou réunion pacifique est
rapidement interdite. Les manifestations ou protestations sont
réprimées avec la plus grande
brutalité.
Climat de
peur et de répression
Nous
comprenions parfaitement la situation de peur de certains Sahraouis,
même si d'autres, lassés de cette situation qu'ils
supportent depuis plus de 30 ans, ont décidé de «
brûler les papiers » et de dénoncer leur
condition.
Nous avons eu
des réunions avec des activistes sahraouis défenseurs
des droits de l'homme, des ex prisonniers, des personnes qui furent
considérées « disparues », des familles de
disparus et de détenus et des victimes de la
répression.
Dans toutes
les conversations que nous avons eues, nous avons noté les
situations suivantes :
- Des
blessures et des cicatrices des coups reçus dans les
affrontements du mois de mai. Des signes de torture et de violence
sur certaines personnes.
- Une grande
anxiété qui se manifestait par de constantes
questions concernant l'attitude des différents partis qui
ont fait partie du gouvernement espagnol, de la position des
gouvernements autonomes et des Nations unies, etc. Ils se
révèlent angoissés du fait de la solitude
dans laquelle ils se trouvent et de l'ambigüité des
gouvernants à leur égard, ainsi que de la lenteur de
tous les processus et de l'indifférence
internationale.
- De
nombreuses femmes nous ont demandé d'aller à la
« prison noire » rendre visite à leurs fils ou
frères, ou encore, à une femme connue. Pour eux et
pour elles, c'était très important, étant
donné que cela éviterait qu'ils disparaissent ou
soient torturés. Ils nous ont donné les noms des
prisonniers : Aminatu Haidar, Ali Salem Tamek, Mohamed Mutawakil,
El Hussein Lidri, Brahim Numria, Laarbi Massud, Hassamna El
Hairech, Daondi Omar, Bonamoud Ahmed Salem
L'unique
délit de ces personnes était d'avoir protesté
contre la répression marocaine et exigé le
référendum d'autodéterminationn
approuvé par l'Onu.
- Un sujet
qui a paticulièrement appelé notre attention est
celui des disparus, beaucoup d'entre eux depuis plusieurs
années et de plus de nationalité espagnole. L'une
des associations de disparus avait un dossier de 151 noms. Les
informations ont été recueillies avec beaucoup de
difficulté car la peur paralisait les membres de leurs
familles.
- Nous avons
été surpris par le soin avec lequel ils conservaient
leurs documents espagnols. Beaucoup déplorent qu'on les
leur a volés ou de les avoir perdus. Leur sentiment
à l'égard de l'Espagne est très
fort.
- Ils ne se
sentent pas en sécurité dans le palais de justice,
sauf s'il y a des observateurs, des avocats habituellement
espagnols ou français. Nous avons eu un contact avec un
avocat français qui avait été présent
à un procès à Dakhla (ancienne Villa
Cisneros).
- Ils ne se
sentent pas non plus en sécurité dans les
hôpitaux ; certain, comme Hmad Hamad, avec qui nous avons
parlé de long en large, y a été violemment
roué de coups par des policiers marocains qui l'ont
laissé prostré pendant 20 jours. Et ils redoutent
qu'on les y élimine.
- Ceux qui
avaient disparu évoquent des situations horribles dans les
lieux où ils ont été séquestrés
: tortures, viols, mauvais traitements, conditions
carcérales infernales
- Par
ailleurs, la situation dans les prisons est désastreuse ;
les gens dorment entassés. Ils nous racontaient que
certains, quand ils sortaient, vendaient leur espace de sorte que
celui qui l'achetait pouvait dormir « un peu plus
confortablement ». Nous avons entendu parler du «
Titanic », une prison où ils dormaient tous ensemble
et où pour tenir, ils ouvraient les jambes et
s'enchevêtraient pour être à l'aise. De la
prison noire ils racontent des horreurs. C'est le lieu où
l'on conduit habituellement les Sahraouis avant de les disperser
ailleurs. Dans bien des cas, l'on ne sait pas où on les
envoie.
- Des
événements de mai, juin et juillet, nous en avons
tous eu connaissance par les images vues dans les media ; sur
place tout se confirme et l'on nous parle de personnes que l'on a
jetées d'un édifice, d'une femme qui a avorté
dans la rue sous les coups
etc. De cela, de la cruauté
de la police nous avons des images qui ne laissent place à
aucun doute et qui font partie des documents de chaînes de
télévision incontestables comme TVE ou de
périodiques comme La Provincia, ABC, El País, El
Mundo, etc
- D'autre
part, la MINURSO est discréditée dans toutes les
catégories de la population. L'expression la moins dure que
nous avons entendue est qu'« ils faisaient du tourisme
». Nous, nous avons vu qu'ils avaient des voitures modernes
et de très bonne qualité (l'immense majorité,
pour ne pas dire toutes, des tout-terrain avec le sigle UN) et
qu'ils étaient dans les meilleurs hôtels et
résidences (nous avons pu nous en rendre compte lorsque
nous nous promenions de nuit). Ils sont traités par la
population de corrompus. Nous avons été
impressionnés par la quantité de voitures de la
MINURSO dans la ville. La population sahraouie est très
critique à l'égard du rôle de la MINURSO. Ils
n'ont pas empêché la répression de la police
marocaine contre la population civile sahraouie, ils regardent
ailleurs, ils ne se préoccupent pas de la situation
carcélaire.
- Ils disent
qu'ils perdent leur richesse, les phosphates et la pêche. La
pêche s'effectue avec des instruments interdits
internationalement parlant ou avec des explosifs. (Le poisson qui
se vend là-bas est très bon et très bon
marché).
- Les
Sahraouis se plaignent des « pateras », un
problème qui les discrédite en raison de la
confusion créée et dont profitent des mafias
marocaines que le gouvernement marocain laisse faire avec la
complicité de la police. Quelques subsahariens sont
arrêtés, surtout dernièrement (selon les
relations entretenues avec l'Espagne) et sont conduits à
une sorte de prison. Nous, nous en avons vu une qui
présentait des conditions inhumaines : le linge
séchait dans les arbres et la surpopulation était
visible par la fenêtre.
Un peuple
avec une identité
Les Sahraouis
à tout moment nous rappellent qu'ils sont un peuple pacifique,
qu'ils l'ont démontré, qu'ils ont fait preuve de
beaucoup de patience et qu'ils demandent d'urgence un
règlement. Nous percevons leur « nous n'en pouvons plus
». Nous remarquons une nombreuse population jeune fortement
indignée et très désireuse de se montrer
&emdash;que l'on sache qu'ils sont beaucoup&emdash; et avec la
conscience claire que ce qu'ils revendiquent est juste.
Par ailleurs,
ce qu'ils exigent est que soient appliqués les accords des
Nations unies, ce qui correspond à la légalité.
Pourtant, revendiquer cela et le faire publiquement porte atteinte
à ce que le gouvernement marocain considère «
l'intégrité du territoire national ». Au Sahara
Occidental et au Maroc, cela est tenu pour un délit qui peut
être puni de 20 ans de prison, comme cela est arrivé
à Hassamna El Hairech. De même, ils revendiquent le
respect des droits de l'homme.
D'après
ce qu'ils nous disent, il ne se mêlent pas à la
population marocaine. Ils se considèrent d'une autre culture,
et bien que m usulmans et pratiquants, ils ne vont pas dans les
mosquées où se rendent les Marocains.
L'on ne
rencontre aucun Sahraoui demandant l'aumône car ils ont une
conception profondément ancrée de la solidarité
entre eux. Les mendiants que nous avons vus étaient
marocains.
A tout moment,
ils manifestent un niveau de tolérance religieuse importante :
ils aiment parler de religion, connaître nos coutumes, notre
foi, notre credo. L'on ne note aucun signe d'intégrisme
islamique et ils ont conscience d'en être très
éloignés.
Ils continuent
à se considérer comme un peuple nomade qui aime le
désert. Nous étions surpris de voir des tentes en
pleines dunes sur la route de la plage. Ils nous ont dit qu'il
s'agissait de Sahraouis qui passaient là
l'été.
Selon leurs
dires, ils se sentent par la culture, la religion et leur forme de
vie plus proches des Mauritaniens que des Marocains.
Appel
à l'opinion publique espagnole et à ses
institutions
- À
El Ayoun, s'agissant de la population civile sahraouie, les droits
de l'homme sont violés par le gouvernement marocain qui
impose en permanence un état de siège dans une
tentative de soumission du peuple sahraoui, par la peur, la
répression brutale, la torture, des procès
sommaires, des emprisonnements, des viols
, qui constituent
une réalité d'horreurs et de
brutalité.
- Aujourd'hui,
plus que jamais, nous considérons indispensable le libre
accès à tout le Sahara Occidental. Il y a là
un peuple innocent qui souffre, qui attend, qui est
désespéré, qui crie justice, qui revendique
le droit à une vie digne. Il convient de dénoncer
les tentatives du gouvernement marocain d'interdire l'accès
d'observateurs internationaux à ce territoire pour que l'on
ne voie pas ce qui s'y passe. La douleur des innocents n'admet ni
l'ambiguïté ni la fausse neutralité qui
favorisent toujours les oppresseurs.
- Cette
brutale répression doit ceser immédiatement. Le
Maroc ne peut pas continuer à violer les droits humains
avec la permissivité de l'Onu et de la communauté
internationale et à poursuivre l'annexion par la force d'un
territoire qui ne lui appartient pas.
- Il
convient de regarder en face les causes d'une telle situation qui
ne sont autres qu'une décolonisation ratée par
l'Espagne, les atermoiements et la non application des accords et
desrésolutions de l'Onu permettant de réaliser un
référendum d'autodétermination avec toutes
les garanties démocratiques, un sujet que le Maroc refuse
de respecter, comme nous le voyons dans la pratique.
- Nous
sommes très préoccupés par le danger
potentiel que cette situation de violence peut
générer dans toute la zone et sur laquelle nous
appelons l'attention. Il est perceptible que la population
sahraouie ne supporte plus les brutalités, ne supporte plus
un tel atermoiement et n'est pas disposée à se
taire. La situation a gagné toutes les villes du Sahara
Occidental et menace une région à la
stabilité précaire.`
- La
situation presse et c'est pourquoi nous lançons un appel
urgent pour la libération de tous les prisonniers et
prisonnières sahraouis, dont la majorité fait
actuellement une grève de la faim : Aminatu Haidar, Ali
Salem Tamek, Mohamed Mutawakil, El Hussein Lidri, Brahim Numria,
Laarbi Massud, Hassamna El Hairech,
et nombreux sont les
innocents aux corps troturés dont l'unique délit est
d'exiger de vivre avec dignité et d'être libres. Nous
sommes préoccupés par la détention de Hmad
Hamad qui est confirmée au moment où nous terminons
d'écrire ces lignes, car nous craignons qu'elle ait
été la conséquence des conversations que'il a
eues avec nous.
Angel
Rodríguez Hernández (prêtre) 42 916 797 Q
Ricardo Miranda Marrero (prêtre)
Jorge Hernández Duarte (prêtre) 42 155 341 K
Sergio Afonso Miranda (prêtre) 42 821 382 M
[Communiqués,
lettres, Documents...]
[HOME]