LA TROISIÈME CONFÉRENCE INTERSYNDICALE POUR LA SOLIDARITÉ AVEC LE PEUPLE SAHRAOUI
ROME 28-29 OCTOBRE 2005
LES TERRITOIRES OCCUPÉS DU SAHARA OCCIDENTAL
Par
ASFARI NAAMA ABDI
Juriste sahraoui
Charte
de l'Organisation des Nations Unies, Article 73 : «
Les Membres des Nations Unies qui ont ou qui assument la
responsabilité d'administrer des territoires dont les
populations ne s'administrent pas encore complètement
elles-mêmes reconnaissent le principe de la
primauté des intérêts des habitants de
ces territoires. Ils acceptent comme une mission
sacrée l'obligation de favoriser dans toute la mesure
possible leur prospérité, dans le cadre du
système de paix et de sécurité
internationales établi par la présente Charte
et, à cette fin : a.
d'assurer, en respectant la culture des populations en
question, leur progrès politique, économique
et social, ainsi que le développement de leur
instruction, de les traiter avec équité et de
les protéger contre les abus ; b. de
développer leur capacité de s'administrer
elles-mêmes, de tenir compte des aspirations
politiques des populations et de les aider dans le
développement progressif de leurs libres institutions
politiques, dans la mesure appropriée aux conditions
particulières de chaque territoire et de ses
populations et à leurs degrés variables de
développement (
). »
Le Sahara Occidental est un territoire non-autonome. Son statut juridique est défini par l'article 73 de la Charte des Nations Unies.
Les habitants d'un territoire non autonome, selon le droit international, bénéficient d'un certain nombre de droits. Ils sont protégés par des instruments du droit international public général mais aussi par les règles spécifiques du droit international humanitaire.
Mon intervention va aborder d'une part la situation difficile de la population sahraouie sous l'occupation marocaine et particulièrement celle des travailleurs de Phosboucraâ, avec tous ses aspects politiques et juridiques et d'autre part celle d'autres civils sahraouis qui vivent sous l'occupation militaire marocaine depuis 1975.
LE CAS DES TRAVAILLEURS DE PHOSBOUCRÂA
1. La mine de Phosboucrâa et la remise en cause des droits des travailleurs sous l'occupation marocaine
La mine de
Phosboucrâa a été découverte en 1962 au
temps de la colonisation espagnole. Alors que son exploitation
effective n'a débuté qu'en 1972, l'administration
espagnole avait défini dès 1962 l'organisation et la
gestion de la mine ainsi que le statut et les droits des
employés dans un règlement qui établit les
contrats des travailleurs sahraouis : « le règlement de
Phosboucrâa »L'effectif des travailleurs sahraouis
à l'époque était de l'ordre de 1 500, toutes
spécialités confondues, nombre équivalent
à celui des travailleurs espagnols.
Ces contrats ont été remis en cause par la direction de
l'entreprise en 1977. A cette date, 65 % des parts de l'entreprise
Phosboucrâa venaient d'être cédés à
l'Office Chérifien des Phosphates (OCP) entreprise
marocaine.
L'OCP s'était engagé à reprendre les
dispositions de l'ancienne convention, mais cet engagement est
resté sans effet. Depuis lors les travailleurs sahraouis ont
été marginalisés et leurs salaires ont
été abusivement abaissés par rapport à
ceux des employés espagnols et marocains, à
qualification et à poste égaux.
Ainsi les travailleurs sahraouis se sont mis à travailler 48
heures par semaine alors que la base de rémunération
restait de 40 heures et que sous l'administration espagnole les deux
jours de repos hebdomadaires étaient reconnus.
La feuille de paie mensuelle était basée sur 31 jours.
Après le changement de direction, ils ont reçu deux
feuilles de salaire par mois totalisant à elles deux 26 jours,
y compris les samedis.
Pour ce qui est des salaires et des responsabilités, des
disparités importantes se sont aggravées entre
travailleurs sahraouis et marocains.
La retraite avait été fixée par le «
Règlement » à 65 ans, mais ils ont
été contraints de partir dès l'âge 55 ans.
Quant à la couverture médicale, alors que le «
Règlement » accordait une prise en charge de
l'hospitalisation, l'OCP l'OCP qui ne l'accorde plus qu'aux nouveaux
embauchés marocains et le refuse aux Sahraouis.
Les nouveaux contrats de l'OCP n'ayant pas été
proposé à la signature des employés sahraouis,
ils sont 720 qui ont ainsi été spoliés de leurs
droits sociaux.
Aujourd'hui les travailleurs sahraouis en fonction sont très
peu nombreux : ils ne sont plus qu'une centaine sur 1 000
employés et n'occupent plus de postes à
responsabilité.
Autrefois, il était de coutume d'embaucher les enfants du
personnel. Cette pratique est désormais terminée et le
recrutement est essentiellement marocain.
2. Les travailleurs de Phosboucrâa dans la lutte nationale
Dès
1999, les travailleurs de Phosboucrâa ont pris part à
toutes les manifestations qu'a connu le Territoire contre les
violations des Droits de l'homme et la présence
illégale du Maroc au Sahara Occidental. Tous ces mouvements de
résistance populaire ont été durement
réprimés, notamment en septembre 1999, en août
2002 et enfin en mai 2005.
Ce dernier soulèvement populaire a été la cible
de la machine répressive de l'occupant marocain. De nombreuses
personnes ont été arrêtées,
torturées, condamnées à des lourdes peines
allant jusqu'à vingt ans de prison ferme.
La question des travailleurs sahraouis de Phosboucrâa a fait
l'objet d'un « plan d'action » lors de la 28e
Conférence de Solidarité avec le Peuple Sahraoui
à Modena en Italie en octobre 2002.
Le vide juridique qui existe suite à la situation de
l'occupation marocaine ainsi que les réticences de l'ONU
à assumer pleinement ses responsabilités ont
créé une situation où les violations continues
du droit international par le Maroc ont conduit à la mise en
place d'une discrimination totale contre les Sahraouis en
général et contre les travailleurs en particulier. La
discrimination est en effet la façon par laquelle les
Marocains exercent leur répression et violent les droits
fondamentaux des Sahraouis. Il y a là un lien direct entre le
refus du Maroc de respecter le droit international avec son
occupation illégale du Sahara Occidental et les graves
violations des Droits de l'Homme que commet quotidiennement le
régime contre la population sahraouie.
La remise en cause unilatérale en 1977 des droits contractuels
des travailleurs sahraouis, définis par le Règlement
Phosboucrâa de 1962, alors que les travailleurs espagnols
continuaient de bénéficier des droits acquis avant
1975, pose la question de la discrimination et de la violation du
droit de « non-discrimination », garanti par bon nombre de
textes du droit international.
DISCRIMINATION : VIOLATION D'UN DROIT ET D'UN PRINCIPE
Le principe de
non discrimination est issu du postulat de l'égalité de
tous les êtres humains, posé par l'article 1e de la
Déclaration Universelle de Droits de l'Homme et affirmé
par la Charte des Nations Unies (art. 1 § 3) et par tous les
instruments internationaux de proclamation des Droits de l'homme
(DUDH, art. 2 ; PIDCP (Pacte International des Droits Civil et
Politique), art 2, CEDH (Convention Européenne des
Droits de l'Homme) art. 14, Charte Africaine art.2).
Ce principe suppose qu'un traitement égal soit
réservé à des individus égaux et implique
l'existence d'une norme prescrivant l'égalité devant la
loi.
Le 21 juin 1971, à propos de l'occupation de la Namibie par
l'Afrique du Sud, la Cour Internationale de Justice a donné
une définition de la discrimination : « toute
distinction, exclusion, restriction ou préférence
fondée sur la race, la couleur, l'ascendance ou l'origine
nationale ou ethnique constitue un déni des droits
fondamentaux de la personne humaine » donc et une violation
flagrante de la Charte des Nations Unis. Le Comité des Nations
Unies des Droits de l'Homme a la même conception exclusive des
motifs de discrimination.
La reconnaissance du droit à la non-discrimination
résulte donc de l'interprétation constructive faite par
le Comité des Droits de l'Homme de l'article 26 du PIDCP :
« toutes les personnes sont égales devant la loi et ont
droit à une égale protection de la loi. » Refusant
de voir dans cette disposition une simple réitération
de la clause de non-discrimination de l'article 2 du Pacte, le
Comité des Droits de l'Homme estime que l'article 26 consacre
le principe général de l'égalité,
proclamé par l'article 7 de la DUDH qui « interdit toute
discrimination de droit ou de fait dans tous les domaines ».
L'article 26 impose à l'Etat de ne pas adopter et de ne pas
mettre en uvre une loi dont le contenu serait
discriminatoire.
Le droit garanti par cet article est donc, au sein du PIDCP, un droit
autonome dont la portée n'est pas limitée aux seuls
droits énoncés par le Pacte. Il s'analyse comme un
droit à la non-discrimination pour la jouissance de tout
droit, que celui-ci soit énoncé par le PIDCP ou par
tout autre instrument du droit international, tel le Pacte
International sur les droits économique, sociaux et culturels
(Droit à la sécurité sociale et aux assurances
sociales, art. 9).
Le Maroc et l'Espagne ont tous les deux ratifié les deux
pactes internationaux. Ils se sont engagés à
protéger tous les droits énoncés par les deux
pactes.
AUTRES ATTEINTES AUX DROITS DU TRAVAIL
Depuis 1999,
les Sahraouis ont entamé un soulèvement populaire
contre l'occupation illégale de leur Territoire. De grandes
manifestations ont touché toutes les villes sahraouies mais
aussi les villes marocaines. Ces protestations non-violentes (marches
et réunions politiques, distribution de tracts et de drapeaux
nationaux sahraouis) sont sujettes à une répression
violente. De très nombreux sahraouis ont été
blessés, arrêtés, et d'autres torturés et
condamnés à lourdes peines.
Tous ces événements résultent de leur refus de
l'occupation, de la marginalisation dont ils sont victimes et du
report indéfini du référendum
d'autodétermination.
EXODE ''FORCÉ'' DES SAHRAOUIS À L'INTERIEUR DU MAROC ET TRANSFERT MASSIF DES COLONS MAROCAINS DANS LE TERRITOIRE SAHRAOUI
A partir 1988,
le Maroc a organisé un exode de plus de 6 000 jeunes sahraouis
(presque tous des lycéens) vers les villes marocaines
où des programmes visant la création d'emplois avaient
été lancés en vue de les intégrer
à la population marocaine. Cette mesure visait
également une diminution de la population sahraouie dans les
Territoires Occupés.
En 1999, après le soulèvement populaire qui avait alors
secoué les Territoires Occupées, le Maroc a repris
cette politique.
Les autorités marocaines exigent des centaines des
diplômés sahraouis demandeurs d'emploi d'aller
travailler dans les villes marocaines et pas dans les Territoires
Occupés. Dans leur contrat de travail une clause mentionne
l'obligation de rester au Maroc et de ne pas demander de mutation
pendant cinq ans.
Cette politique coloniale qui contraint des milliers des
diplômés sahraouis à s'exiler au Maroc, a pour
objectif de vider le Territoire de sa jeunesse, et de cette
potentialité nationale qui a joué un rôle si
déterminant dans l'histoire et le combat national
sahraouis.
D'autre part, depuis 1975 et jusqu'à aujourd'hui, le Maroc ne
cesse d'envoyer des centaines de milliers de marocains dans le
Territoire sahraoui en leur offrant toutes les conditions facilitant
leur installation définitive.
La politique colonisatrice marocaine viole ainsi tous les textes et
toutes les résolutions des Nations Unis qui exigent le respect
des droits politiques, civils et économiques des habitants
d'un territoire non autonome, comme le souligne notamment l'article
73 de la Charte de l'ONU.
LA PERTE D'EMPLOI, CONSÉQUENCE DIRECTE APRÈS CHAQUE ARRESTATION ET INCARCÉRATION
Tout sahraoui qui affiche ses opinions politiques ou qui milite pour le respect des Droits de l'Homme dans le territoire sahraoui risque de perdre son travail.
MOUTIK Elhoussine, ex-Président de la section Sahara du FVJ (Forum Vérité et Justice) a été licencié abusivement en 2002 de son poste à la société SEPOMER-Sahara. Moutik était membre de la délégation de militants des Droits de l'homme qui a rencontré madame Catherine LALUMIERE et une délégation du Parlement européen au Sahara occidental en février 2002.
Le 5 octobre
2005 à Goulimine, la sur de Moutik : MOUTIK Khadija,
syndicaliste, a été arrêté avec deux
autres femmes sahraouies, BOUDA Aziza et ASSAGHI Attifa, au lendemain
d'un sit-in organisé devant la préfecture de
Goulimine.
MOUTIK Khadija a été victime d'un licenciement abusif
de la mairie de Goulimine suite à ses activités
syndicales en 2003.
Un nombre non négligeable de Sahraoui(e)s ont ainsi perdu leur emploi, après leur arrestation. En voici la liste :
Nom
et prénom Employeur
Perte
d'emploi Lieu
de détention NACERI
Abdeslama Mairie
de Khouribga 19
juin 2002 Laayoune
- Ait Melloul DIMAOUI
Abdeslam Tribunal
de 1ère instance Agadir 27
mai 1977 Kénitra ANTITICH
Sidati Délégation
Education Nationale. Smara 17
novembre 2001 Laayoune ZARGO
Elmahdi Mairie
de Laayoune 1987 Laayoune LAKHDAR
Lalhlie Fonctionnaire
Casablanca 17
novembre 2001 Laayoune HMAD
HAMMAD Municipalité
de Tarfaya 2004 Laayoune NOUMRIA
Brahim Privé
de travail Laayoune LARBI
Massoud Privé
de travail Laayoune ELMOUTAWAKIL
Mohammed Municipalité
Ben Msik (Casablanca) 2005 Laayoune BAHARA
Salek Fonctionnaire
Fos Boucrâa Juin
2000 Agadir
- Marrakech DIMAOUI
Lahbib Cour
d'Appel d'Agadir 25
mai 1977 Kénitra ADDIA
Ahmed Tribunal
de 1ère Instance Agadir Juin
1977 Kénitra AABDOU
Bachir Province
de Goumine BRAHIM
Laghzal Maire
de Tan Tan Juillet
1999 Agadir
Marrakech KHAYA
Cheikh Crédit
Agricole Laayoune Juillet
1999 Agadir
Marrakech TAMEK
Ali Salem Mairie
d'Assa Août
2002 Rabat
Ait Melloul ELMOUSSAOUI
Dkhil Délégation
Education Nationale Dakhla 2
avril 2003 Laayoune CHAGGAR
Mohamed Délégation
de la santé publique de Tan Tan 1987 Laayoune BOUGRAYNE
Hadi Province
de Smara 27
septembre 2002 Laayoune SALEH
Labyhi Septembre
2002 HAMMAD
Ahmed Province
de Laayoune Février
2002 ISMAAILI
Brahim Province
de Rachidia Février
2002 ADRISSI
Mokhtar Délégation
au tourisme 1976 Gaalat
M'Gouna 1976-1991 AMINATOU
Ahmed Haydar Mairie
de Boujdour Juin
2005 Laayoune
MUTATION ARBITRAIRE
Lors de la rentrée scolaire 2003-2004, une vingtaine d'enseignants sahraouis ont été mutés dans des villes marocaines en violation flagrante de la réglementation régissant les mutations au sein du Ministère de l'Education marocaine. Ces enseignants étaient actifs au sein d'associations de Droits de l'homme :
DROIT À L'AUTODÉTRMINATION, PRINCIPE PROTECTEUR DES DROITS DE L'HOMME
Toute considération concernant la question de la protection des droits de l'homme du peuple sahraoui et de ses membres doit partir de l'affirmation que ce peuple possède, sur la base du droit international général, le droit à l'autodétermination. Le peuple sahraoui a le droit de disposer de lui-même et de choisir librement sa condition politique. Le dernier rapport du Secrétaire Général de l'ONU, du 13 octobre 2005, s'avère inquiétant puisque nous pouvons relever qu'il s'oriente vers l'illégalité à travers des propositions qui échappent au cadre du plan de paix et à la tenue d'un référendum d'autodétermination libre, juste et impartial. Cette exigence renvoi au noyau essentiel du droit à l'autodétermination et ne peut être dérogé ou modifié par accord international car elle a le caractère d'un droit impératif.
Tout traité international allant en sens contraire serait légalement nul et ne pourrait avoir aucun effet juridique. Ainsi, l'exercice préalable du droit à l'autodétermination est nécessaire au respect de tous les autres Droits de l'homme et des libertés fondamentales du peuple sahraoui. Sans cet exercice l'ensemble de ces droits et libertés ne bénéficiera jamais de la protection adéquate. Exiger le respect des droits de l'homme collectifs et individuels, par tous les moyens existants dans le droit international, est nécessaire. Cela renforce également la lutte pour l'autodétermination.
Cette tendance à la collectivisation des Droits de l'homme a été exprimée nettement sur le plan universel par la proclamation de Téhéran du 13 mai 1968, qui fait figurer la résolution 1514 parmi les instruments universels de proclamation des Droits de l'homme édictant des normes obligatoires, et par la résolution 32/130 qui n'hésite pas à placer le droit « de chaque peuple à l'exercice de sa pleine souveraineté sur ses richesses et ressources naturelles », parmi les priorités en matière de Droits de l'homme.
Dans un autre texte, l'Avis n° 2 de la Commission d'arbitrage de la Conférence Européenne pour la paix en Yougoslavie du 11 janvier 1992, le droit à l'autodétermination est bien un principe protecteur des Droits de l'homme, dont la réalisation conditionne la jouissance des droits de l'individu.
Envisagé comme le droit des nations à former un état indépendant, le droit des peuples se rattache aussi à la notion d'idée démocratique et implique le droit pour la population de choisir librement ses institutions politiques et ses dirigeants : « Fondée sur la volonté, librement exprimée, du peuple qui détermine le système politique, économique, social et culturel qui sera le sien et sur pleine participation à tous les aspects de la vie de la société ».
Interprété comme un principe de légitimité démocratique, le droit des peuples se situerait alors au point de rencontre des droits de la collectivité et des droits individuels civiles et politiques.