Le projet marocain d’ « autonomie » de 2003 pour le Sahara
Analyse et conséquences pour l’avenir
Carlos Ruiz Miguel
I. Le contexte onusien du document.
L'approbation à l'unanimité du "plan Baker II" (résolution 1495)
par le Conseil de Sécurité fut un coup dur pour le Maroc.
Pour essayer d'échapper au "plan Baker" sans mettre en question
le contenu de la résolution 1495, le Maroc a officiellement
présenté en décembre 2003 un projet pour
créer la "Région Autonome du Sahara" (RAS). Il s'agit
d'un document d'une très grande importance. Nous nous trouvons
devant le premier projet d'autonomie officiellement
présenté par le Maroc avec l'approbation de Mohamed VI
lui-même. Le Maroc avait "annoncé" à plusieurs
reprises qu’il allait instaurer une autonomie au Sahara Occidental,
mais jusqu'en décembre 2003, il n'avait jamais
présenté de projet. S’il l'a fait alors, c’est parce que
l'approbation par le Conseil de Sécurité du Plan
Baker a constitué une mesure de pression efficace pour faire
sortir le Maroc de son immobilisme. La leçon est claire :
l'ONU est le cadre pour la résolution du conflit.
Le projet de RAS a été maintenu secret jusqu'à
présent, bien qu’il soit connu des États membres du
Conseil de Sécurité. Pourquoi ? Le Maroc ne l'a pas
diffusé parce que certains secteurs du Makhzen ont pensé
que le projet allait trop loin et ouvrait une voie de
démocratisation interne qui mettrait en danger trop
d’intérêts existants.
Le document présente un intérêt juridique en droit
international parce que, bien qu’il ne réponde pas de
façon adéquate à l'autodétermination, il
constitue une acceptation de la résolution 1495, qui avalise le
Plan Baker. L'intérêt qu’il présente dans le cadre
intérieur marocain est encore plus grand, à la
lumière des changements qu’il introduit dans la
législation de ce pays.
II. Analyse du projet de RAS en droit international
Le projet marocain d'autonomie de 2003 comporte deux aspects importants
: son approche du droit à l'autodétermination et sa
relation avec la résolution 1495 du Conseil de
Sécurité.
II. 1. Par rapport à la libre détermination du peuple
sahraoui, le projet marocain d'autonomie de décembre 2003 ne
satisfait pas aux exigences du Droit International. Le point 4 du
document est incompatible avec toutes les résolutions de l'ONU
et avec l'Avis de la Cour Internationale de Justice du 16 octobre 1975,
dans la mesure où il affirme que c'est "un projet d'autonomie de
la Région du Sahara", "dans le respect de la souveraineté
du Maroc, de son intégrité territoriale et de son
unité nationale". Il est évident que le projet de RAS,
tout comme l'"accord cadre", établit comme prémisse
« que le Sahara Occidental fait partie de
l'"intégrité territoriale" marocaine et se trouve sous la
"souveraineté" du Maroc », une conclusion qui ne serait
valable qu’au terme d'un processus de décolonisation, par lequel
le peuple du Sahara Occidental aurait décidé librement
d'intégrer le Maroc.
C’est la raison fondamentale pour laquelle James Baker et les Nations
unies ont considéré que le projet marocain était
"insuffisant". En effet, cette prémisse constitue une
négation du droit à la libre détermination du
peuple sahraoui, inadmissible en Droit International.
II. 2. La relation du projet de RAS avec la résolution 1495 du
Conseil de Sécurité, qui garantit le "Plan Baker", est
plus intéressante. Le point 3 du projet de RAS constitue
l'élément central de cet aspect. Selon ce point 3, "la
délégation marocaine, qui a rencontré M. Baker
à Houston le 17 septembre 2003", a examiné avec lui "la
suite à donner à la résolution 1495" et "les
perspectives en vue de parvenir à une solution mutuellement
acceptable". En ce sens, "le Royaume du Maroc avait ainsi
décidé d’apporter une contribution concrète,
crédible et positive dans le cadre de la résolution 1495
du Conseil". On peut discuter si c’est effectivement le cas. Cela peut
faire l'objet d'un débat. Ce qui est intéressant c’est
que le projet se présente comme s'il entrait dans le cadre de
cette résolution. Et ceci est primordial, car cela signifie que
le Maroc accepte la résolution 1495 comme "cadre" pour
résoudre le conflit du Sahara Occidental. Ou ce qui revient au
même : le Maroc, à travers le projet de RAS de
décembre 2003, a accepté que le "plan Baker"
représentait le "cadre" pour la résolution du conflit.
III. Analyse du projet de RAS en droit constitutionnel
Au moment d'effectuer une analyse du projet de RAS de décembre 2003, examinons plusieurs points importants :
A) La distribution des compétences entre le Maroc et le Sahara Occidental ;
B) La procédure de résolution des conflits ;
C) L'organisation de l'autonomie ;
D) La garantie de l'autonomie et le système constitutionnel marocain ;
E) Les droits fondamentaux ;
F) Le corps électoral.
A) Distribution des compétences entre le Maroc et le Sahara Occidental.
L'art. 7 du projet de RAS établit un catalogue de
compétences de la RAS, sans les qualifier d'"exclusives", tandis
que l'art. 11 fixe celles du Royaume de Maroc. A noter qu'en vertu de
cet art. 11, la "compétence résiduelle"
(c'est-à-dire la détermination de celui à qui
incombent les compétences non expressément
mentionnées dans le projet) revient à la RAS. Du
point de vue de la distribution des compétences, le projet de
RAS constitue un pas en arrière, non seulement par rapport au
"plan Baker II", mais même en ce qui concerne l'"accord cadre" et
la formule de Hassan II de 1985. En effet, trois compétences
importantes (ressources naturelles, police et justice), qui, dans les
autres propositions d'autonomie revenaient au Sahara Occidental, sont
dévolues au Royaume du Maroc.
B) Procédure de résolution des conflits.
Contrairement à l'"accord cadre", le projet de RAS
établit expressément dans son art. 12 une
procédure pour la résolution des conflits. Mais
contrairement au "plan Baker II", où la résolution
finale des conflits est attribuée à une instance neutre
(le Secrétaire général de l'ONU), la
"compétence sur les compétences" (qui n'est rien d’autre
que la souveraineté) est attribuée ici à un organe
contrôlé par le Roi du Maroc, le Conseil Constitutionnel.
Comme je l’ai déjà dit *, le "Conseil Constitutionnel" est
un organe dans lequel la moitié des membres, y compris le
président (qui départage en cas d’égalité),
sont directement désignés par le Roi. Il s'agit, par
conséquent, d'un organe qui n'a pas la crédibilité
suffisante pour résoudre un conflit avec des garanties
d'impartialité.
C) Organisation de l'autonomie.
Le projet de RAS prévoit une Assemblée Législative
choisie directement par le peuple. Toutefois, contrairement à
l'"accord cadre" et au "plan Baker II", le chef de l'Exécutif
n'est pas choisi directement par le peuple, mais par l'Assemblée
parmi ses membres (art. 9).
En ce qui concerne les tribunaux, l'art. 10 du projet de RAS,
contrairement au "plan Baker II", prévoit que les magistrats des
juridictions locales seront nommés "conformément à
la législation nationale" (marocaine), bien qu'ils peuvent aussi
"être élus selon leurs attributions et compétences
territoriales", ce qui paraît être une porte ouverte
à la création de tribunaux propres à la RAS (ce
que confirme l'art. 11).
D) Garantie de l'autonomie.
Le projet marocain de RAS (art. 5) établit qu’il sera soumis
à une "libre consultation référendaire" des
"populations concernées", une fois la Constitution marocaine
réformée à cet effet. S'il est approuvé, le
Statut de la RAS sera "annexé à la Constitution du
Royaume" (du Maroc). Cette garantie du Statut de la RAS est
préoccupante, parce qu'elle s'avère, à mon avis,
en retrait par rapport à l'"accord cadre" et au "plan Baker II".
En effet, dans ces deux documents, le Statut ne peut pas être
unilatéralement modifié par le Maroc ni par les organes
de l'Autorité du Sahara Occidental. Toutefois, en transformant
le Statut en un appendice de la Constitution marocaine, on permet qu’il
puisse être modifié par celui qui peut modifier la
Constitution marocaine, c'est-à-dire (théoriquement) le
peuple marocain. Cela signifie qu’en donnant une nature
"constitutionnelle" au statut de la RAS, loin de lui accorder une plus
grande garantie, on laisse la porte ouverte à une modification
unilatérale de ce statut par le Maroc par le biais d’une
réforme de la Constitution.
Tant que le référendum n’a pas eu lieu et que les organes
prévus par le Statut ne sont pas mis en place, le projet de RAS
établit des mesures transitoires (art. 13), principalement :
une amnistie générale, un rapatriement "par le Haut
Commissariat pour les Réfugiés" (UNHCR) de ceux qui
résident hors du territoire et la création d'un Conseil
transitoire, composé en parties égales a) par des
"élus" et des chefs de tribu de la population résidant
dans le territoire et b) par des représentants des populations
rapatriées. Ce Conseil transitoire a des compétences
uniquement consultatives.
E) Droits fondamentaux.
Ce qui saute aux yeux, c’est que, contrairement au projet d'"accord
cadre" et au "plan Baker", le projet de RAS ne fait allusion à
aucun moment aux droits fondamentaux de la population du Sahara
Occidental. Cette omission est préoccupante, compte tenu des
violations massives des droits humains dans les territoires
occupés du Sahara Occidental.
F) Corps électoral.
Le projet de RAS établit les règles pour la composition
du corps électoral qui se prononcera sur le Statut. En accord
avec l'art. 13 de ce projet, le corps électoral prévoit
trois classes de personnes :
a) Les personnes admises comme électeurs dans le recensement de
l'ONU du 30 décembre 1999 et les personnes ayant atteint
l’âge de 18 ans depuis 1993, descendants de ceux inscrits comme
électeurs dans le recensement de l'ONU ;
b les personnes âgées de 18 ans au moins qui figurent sur
la liste du rapatriement établie par le Haut Commissariat des
Nations unies pour les Réfugiés ;
c) les personnes qui ont des "liens légaux" ou "des attaches
avérées avec le territoire, tels que la résidence,
la naissance ou la filiation".
L'inclusion comme électeurs d'un référendum
d'autodétermination des "résidents" dans un territoire
pose quelques problèmes. Si on estime que ce
référendum est un exercice "du droit
d'autodétermination du peuple sahraoui", la clause serait
illégale selon le Droit International. Rappelons que la Cour
Internationale de Justice a établi que seules les populations
"originaires" peuvent prendre part au référendum et non
pas les simples "résidents"
** . Le cas est différent si on
considère que le référendum sur le projet de
statut de la RAS n'est pas l’exercice de l'autodétermination.
IV. Les conséquences du projet de RAS.
La publication du document officiel (maintenu sous réserve)
présenté par le Roi du Maroc pour établir une RAS
constitue une contribution importante au débat actuel du Conseil
de Sécurité sur le conflit du Sahara Occidental. Il
constitue également un élément indispensable pour
un débat pertinent sur l'affaire du Sahara Occidental. Les
conséquences devraient être les suivantes :
1º. Le référendum d'autodétermination n'est pas "inapplicable".
Le Plan de paix et les Accords de Houston ont été
paralysés au début de 2000 quand il s’est
avéré que le recensement effectué par l'ONU
n'était pas favorable au Maroc. Ce pays a introduit des dizaines
de milliers de recours que l'ONU n'a pas voulu traiter parce que
l'application des normes convenues entre les parties aurait
supposé le rejet de l'immense majorité de ces recours.
Le discours officiel des hauts responsables marocains et des dirigeants
du dénommé CORCAS (Conseil royal consultatif pour les
affaires du Sahara) consiste à dire qu'il faut rechercher une
"solution politique" qui n'inclut pas l'autodétermination, parce
que le référendum est devenu "caduc" et qu’il est
"inapplicable". La raison principale évoquée est qu'il
n'est pas possible d'effectuer un "recensement".
Toutefois, le Royaume du Maroc lui-même avait proposé en
décembre 2003 un référendum pour approuver son
projet de RAS. Pourquoi un référendum pour approuver
l’autonomie peut-il avoir lieu, alors qu’il n’est pas possible pour
garantir l'autodétermination ? Le Royaume du Maroc
lui-même a admis la validité du recensement de l'ONU du 30
décembre 1999, sans les recours, en incluant les
électeurs recensés par l’ONU pour le
référendum sur le projet de RAS. Pourquoi le recensement
de l'ONU de 1999 est-il valable pour une consultation sur l'autonomie
et ne l'est-il pas pour un référendum
d'autodétermination ?
2º. Un projet marocain d'autonomie sans référendum
et avec moins de compétences n'aurait pas de
crédibilité.
Le projet marocain de RAS de décembre 2003 comporte ce qui est
acceptable pour le Maroc. Par conséquent, il constitue pour le
Maroc quelque chose de déjà accepté, de telle
sorte qu’un éventuel nouveau projet d'autonomie ne peut pas
consister en une charte "accordée" par le roi, mais doit
être un texte approuvé par référendum par
les populations originaires et résidentes du Sahara Occidental.
De même, cela signifie que le Maroc a déjà
accepté, au moins, d'attribuer à la RAS toutes les
compétences inclues dans ce projet. En définitive, tout
l’intérêt du projet de RAS de décembre 2003
réside en ce qu’il fixe le seuil minimal en-dessous duquel toute
proposition marocaine s'avère irrecevable et inadmissible.
3º. Dans les campements de Tindouf il y a des réfugiés et non pas des ”séquestrés”.
Le discours officiel marocain et les médias officiels
(comme l'agence MAP) ou officieux, ne cessent de prétendre que
les Sahraouis des campements de Tindouf sont "séquestrés"
par le Front Polisario. Le projet de RAS, document officiel
présenté par le roi Mohamed VI, prouve que ce n'est pas
le cas. En effet, par le recensement, il confie "au Haut Commissariat
des Nations unies pour les Réfugiés" le rapatriement des
Sahraouis qui se trouvent hors du territoire. Le HCR assume cette
fonction précisément parce qu'il s'agit de
réfugiés. Et ce sont des réfugiés parce
qu'ils ont été contraints de fuir le territoire. La
raison de leur fuite est claire, c’est l'invasion militaire du Sahara
Occidental.
4º. Le Maroc présente seulement des projets de solution quand il se trouve sous pression internationale.
Le projet de RAS a été présenté lorsque
l'ONU a approuvé à l'unanimité la
résolution 1495, entérinant le "plan Baker", et lorsque
certains des principaux acteurs du conflit (Espagne, USA) eurent
décidé de faire pression sur le Maroc, qui se trouvait
isolé.
La scène internationale a changé à
l’arrivée au pouvoir en Espagne de Rodriguez Zapatero, mettant
fin à la politique de pression sur le Maroc, remplacée
par une politique de complaisance.
En ce qui concerne les USA, la position de ce pays a changé
quand l'Espagne a cessé de faire pression sur les USA en faveur
de l'autodétermination et que le Maroc s'est offert pour
torturer les prisonniers de la CIA dans le cadre de "la guerre globale
contre le terrorisme", ce qu'on peut qualifier de "programme Sahara
contre tortures".
5º. Le Maroc ne concédera une autonomie crédible que
lorsqu’il aura procédé à une réforme
constitutionnelle.
Le projet de RAS présenté par le Maroc reconnaît
que l'autonomie du Sahara Occidental n’est pas possible sans une
réforme de la Constitution marocaine. Par conséquent,
tant que le Maroc n'opérera pas de réforme
constitutionnelle, tout discours ou proposition d'autonomie manquera de
crédibilité.
--> vers le document marocain 2003, présentation --> original PDF
* LA "TERCERA VÍA" ANTE EL DERECHO CONSTITUCIONAL MARROQUÍ: UNA AUTONOMÍA IMPOSIBLE. Carlos Ruiz Miguel, (05.02.2002)
** ICJ Rep 1975, par. 161 et 162.
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