AVRIL 2004
L'EXPLOITATION DES RESSOURCES DU SAHARA OCCIDENTAL PAR LE MAROC : EPUISEMENT DES CEPHALOPODES.
Au large du Sahara Occidental le Maroc a surexploité et laissé surpêcher le domaine maritime sahraoui jusqu'à mettre en danger d'extinction le banc de céphalopodes ( aussi appelés poulpes ). Il en résulte une baisse de 50% des prises, la nécessité d'instaurer un très long repos biologique et une crise économique et humaine sans précédent.
Si, à l'intérieur de son domaine maritime internationalement reconnu, le Maroc possède des richesses halieutiques on n'y compte pas les céphalopodes au nombre de celles ci. Ceux ci ne sont présents que dans les eaux maritimes du Sahara Occidental. Les pêches, transformations et exportations de poulpes « marocains » ont donc pour origine une matière première totalement sahraouie qui a été prélevée dans la plus totale illégalité, en dehors des règles du droit international régissant les territoires non autonomes. Toutes références aux céphalopodes par le Maroc ont pour origine un produit que ce pays dérobe au peuple sahraoui.
Ils sont révélateurs de l'importance de la crise : en 2003 les prises de poulpes ont baissé en volume de 50% ( La Gazette du Maroc N°353 du 2.2.2204 ). « Les rendements de chalutage, effectués par un navire de recherches de l'I.N.R.H. ( l'institut national de recherches halieutiques ), fin septembre 2003, et qui constituent un indice d'abondance, ont chuté de près de 50% pour le poulpe, de 78% pour le calamar, et de 69% pour la seiche ». ( Le Matin du 11.2.2004 ). La chute moyenne de rendement de chalutage est donc de 66% « L'industrie de congélation a enregistré un recul de 53%, passant de 67.000 tonnes en 2002 à 31.400 en 2003. Cette baisse est due à l'effondrement du stock de poulpe » ( www.leconomiste.com ) du 12.3.2004 ).
Concernant les lieux de pêche du poulpe, le projet de sortie de crise, élaboré par le ministère des pêches du Maroc, fin mars 2004, précise que « Pour la pêcherie poulpière, la zone identifiée s'étend du cap Boujdour au Cap blanc (Lagouira) » ( L'Economiste du 30.3.2004 ), c'est à dire du sud d' El Aiun à la frontière Mauritanie / Sahara Occidental.
Elles sont multiples, anciennes et peuvent se résumer par une ponction de céphalopodes supérieur à ce que ce capital halieutique peut produire. Cette ponction s'est faite, sans aucune visibilité, dans un secteur stratégique et très pourvoyeur de devises pour le Maroc ( Aujourd'hui le Maroc du 10.2.2004 ).
Les racines du problème découlent « d'une exploitation surdimensionnée par rapport à l'état de la ressource » ( Tel Quel du 18.2.2004 ). Après la surpêche par les flottes européennes, que le Maroc a laissé opérer jusqu'en novembre 1999 ( fin des accords de pêche Maroc-Union Européenne, non renouvelés depuis ), le Maroc n'a pris aucune mesure pour gérer durablement cette activité halieutique. « Depuis 1997 le projet du code de la pêche attend de passer en Conseil des Ministres » (http://www.telquel-online.com du 1.3.2004 ). « En l'espace de 5 ans, trois ministres de la pêche se sont succédés » ( Maroc Hebdo International N°591 du 6.2.2004 ). De plus le Maroc a invité les investisseurs à s'intéresser à « la pêche qui a toujours été considéré comme un secteur de rente dont ont profité des dignitaires du régime ainsi que des militaires. Dans un soucis de peupler les régions de sud ( le Sahara Occidental ) le ministère de l'Intérieur faisait miroiter les profits engendrés par la pêche au poulpe » ( Tel Quel du 18.2.2004 ).
Comme pour d'autres richesses la pêche du poulpe est un enjeu dans les rapports maroco-espagnols qui passe par la délivrance de nouvelles licences de pêche accordées aux sociétés de pêche espagnoles. Il en est de même avec la Russie ( Tel Quel du 18.2.2004 ). Ainsi des ressources halieutiques sahraouies ont été détournées par le Maroc pour servir ses intérêts politiques.
Le Maroc a laissé s'instaurer la surpêche excessive du banc de céphalopodes sahraoui. Selon la Gazette du Maroc du 2.2.2004 N°353 : « les pêcheurs clandestins ont envahi les eaux marocaines ( dont celles du Sahara Occidental ) et pillent les produits les plus prisés par les consommateurs japonais et européens qui achètent les céphalopodes au prix fort », de 6500 à 10000 $US la tonne ( l'Economiste du 18.2.2004 ). Il n'y a pas que la pêche hauturière qui profite de ce laisser faire et du manque de contrôles des flottes de pêche et de leurs captures. Sur les 15 000 barques artisanales qui pratiquent la pêche côtière, 50% n'ont pas de permis de pêche. Concernant les autorisations de création d'unités de congélation de poulpe, la même absence de rigueur à prévalu. Celles ci ont notablement augmenté depuis 6 ans. Ainsi en 1998 il y avait, à Dakhla, 26 unités de congélation et 75 unités en 2003 ( la Gazette du Maroc du 2.2.2004 N°353 ). Le même phénomène a été développé à El Aiun qui compte 15 unités. Or selon l'actuel ministre marocain de la pêche il ne devrait pas y avoir plus de 40 à 45 unités de congélation. Pour répondre aux demandes de ces centres de congélation il a été pêché, officiellement, en 2002, 88 000 tonnes de céphalopodes alors que l'I.N.R.H. préconisait la prise de 50 000 tonnes au maximum. Le chiffre réel des prises n'est pas révélé mais tout laisse à penser qu'il doit dépasser les 100 000 tonnes.
Conséquences financières : concernant « cette crise sans précédent » d'un secteur de la pêche, les recettes d'exportation des unités de congélation ont été divisées par 10, passant de 200 millions de $US en 2002 à 20 millions de $US en 2003 ( L'Economiste du 20.2.2004 ). La baisse des prises a des effets sur des sociétés de pêche. Ainsi, Kaben-Pêche, la 2e. société de pêche au Maroc est en cours de démantèlement ( La Razon du 19.2.2004 ). Elle appartient aux généraux marocains Abdelhak Kadiri et Hosni Benslimane le chef de la gendarmerie marocaine.
Conséquences sociales : afin de respecter le repos biologique qui a commencé le 1.9.2003, 10 000 marins pêcheurs se retrouvent au chômage ( Telquel-online du 18.2.2004 ). Selon La Vie Economique les conséquences humaines et sociales seraient beaucoup plus importantes puisque « 40 000 personnes se sont retrouvées au chômage et plus de 100 000 personnes sans ressources ». Au Sahara Occidental, « Dakhla et Boujdour sont des ville complètement sinistrées. Alors que Dakhla produisait l'équivalent de 200 millions de $US il y a à peine un an, ce chiffre est passé à 10 millions aujourd'hui » selon Aujourd'hui Le Maroc du 23.2.2004.
Conséquences biologiques : de part la baisse des prises, en 2003 il a été prélevé beaucoup trop de juvéniles, dont certains étaient immatures. Ceux ci feront défaut dans l'avenir pour assurer le maintien des espèces (www.map.com du 30.3.2004 ).
La réduction de la quantité de poulpes aura aussi des répercussions sur les autres espèces marines. En effet les céphalopodes constituent un des maillons de la chaîne alimentaire et des cycles biologiques qui régissent la vie animale marine. Les poulpes servent de proie à de nombreuses espèces de poissons pêchés qui faute de nourriture vont aussi se raréfier. Un manque à gagner dans le volume des prises de poissons se fera sentir dans les semestres à venir.
Le Maroc qui s'est approprié une richesse sahraouie n'a pas su la gérer durablement et doit faire face à de grandes difficultés pour sortir de cette crise où son imprévoyance l'a plongé. Il s'oriente vers une fuite en avant en reportant sur d'autres espèces l'effort de pêche qui s'exerçait sur les poulpes et en poursuivant les investissements en ce domaine..
Face à la crise le ministre marocain de la pêche a décidé d'instaurer un repos biologique des céphalopodes du 1er. septembre 2003 au 30 avril 2004. Ce repos se traduit par « l'une des plus longues période d'arrêt d'activité ( de pêche) de l'histoire maritime du Maroc » ( Le Matin du 11.2.2004 ), arrêt qui pourrait se prolonger jusqu'en octobre 2004. « Les professionnels de la pêche au poulpe ne se font pas d'illusions : malgré les propos rassurant des pouvoirs publics sur une reprise éventuelle de l'activité à la fin du mois d'avril prochain, ils sont sûrs que, d'ici là, la ressource ne se sera pas régénérée » ( La Vie Economique du 26/12/2003 ). Cette décision se trouve être à la fois une conséquence de la crise et une mesure pour tenter d'y remédier. Cette disposition a été accompagnée par l'arrêt de 39 unités de congélation des poulpes ( Maroc Hebdo International N° 592 du 13.2.2004 ), arrêt très fortement conseillé par le ministère de la pêche. Dans le même temps « pour atténuer les conséquences de cette crise le gouvernement a autorisé 150 bateaux de pêche hauturière à prélever d'autres types de poissons du 1er. février au 15 avril 2004 ». 50% de la flotte hauturière marocaine, constituée en partenariat avec des investisseurs étrangers sous forme de sociétés mixtes, vont ainsi pouvoir mettre fin à plusieurs mois d'immobilisme ( L'Opinion du 21.2.2004 ).
A la fin du mois de mars 2004, un projet de plan d'aménagement de la pêche des poulpes a été élaboré par le Ministère des Pêches Maritimes. Il propose :
1° la réduction de l'effort de pêche de 50%,
2° une répartition du quota de poulpe par segment d'activité à savoir 63% pour le segment hauturier, 11% pour le côtier et 26% pour l'artisanal et l'instauration d'une commission centrale de suivi et une autre de contrôle,
3° la fixation d'un quota pour les bateaux de la pêche hauturière dont le nombre est maintenu à 280 unités, mais qui ne devront pas prélever plus de 107 tonnes de poulpes par an alors qu'ils en pêchaient 160 tonnes par an ( La Vie Economique du 26.3.2004 ),
4° le nombre de navires pratiquant la pêche côtière passera de 280 à 100 unités qui tous devront être immatriculés à Dakhla ou El Aiun.
5° le nombre de barques de pêche artisanale qui se verront accordées une licence sera de 2500 unités contre 7500 qui dispose actuellement d'une licence alors que 5000 barques pêchent sans licence ( La Vie Economique du 19.3.2004 ). Ce plan d'aménagement est accompagné d'autres mesures concernant la taille de la maille des filets, qui est agrandie, l'interdiction de pêcher à moins de 12 miles nautiques des côtes, le contrôle des navires et du volume de leur prise etc
Ces propositions suscitent de vives réactions en particulier chez les professionnels de la pêche côtière ( L'Economiste du 31.3.2004 ).
La gestion humaine et sociale de cette crise montre une absence totale d'engagement de l'Etat marocain. Le Ministre des pêches maritimes a déclaré que les 10 000 marins pêcheurs victimes de cette récession ne sont qu'un « dommage collatéral ». La grève de la faim et le sit in des marins pêcheurs devant le siège du ministère des pêches à Rabat en février 2004 « a failli tourner au drame après l'intervention musclée des forces de l'ordre » ( Le Matin du 10.2.2004 et M.A.P. du 8.2.2004 ). Le Ministre des pêches n'envisage pas de prendre des mesures sociales d'accompagnement de la crise et affirme « qu'il appartient au secteur privé de prévoir des mesures concrètes » concernant la situation des marins pêcheurs ( Le Matin du 14.2.2004 ). Dès le mois décembre 2003, l'administration marocaine confirmait l'absence de subvention de dédommagement pour les chalutiers immobilisés ( La Vie Economique du 26.12.2003 ). Durant les périodes de repos biologique, les représentants de milliers de marins pêcheurs ont demandé la création d'un fonds d'indemnisation à même de réduire la tension sociale concomitante. Ce fonds n'a pas vu le jour. "Le ministère n'en a pas les moyens", explique un responsable ( L'Economiste du 30.3.2004 ).
Paris le 2 avril 2004.
Philippe
Riché
Association des Amis de la R.A.S.D.
B.P. 251 75227 PARIS CEDEX 05.