En annexant par la violence et dans la plus totale
illégalité le Sahara Occidental en 1976, le Maroc a
probablement commis la plus grande erreur de son histoire.
Prétendant réécrire les glorieuses pages de la
conquête de l’Andalousie, à jamais perdue, le Maroc a
lancé le Jihad sur une des dernières provinces
chrétiennes de l’Afrique. Dans l’immédiat.
l’opération flattait l’orgueil national, l’islam royal et
au-delà, l’Umma toute entière. Le royaume
était momentanément sauvé. Sur la durée, le
kidnapping allait s’avérer catastrophique.
Le Maroc allait, pendant de longues années, empoisonner ses relations avec ses voisins directs, la Mauritanie et l’Algérie, se faisant le fossoyeur d’un Maghreb uni qui aurait pu se présenter de façon politiquement stable face à l’Europe. Par voie de conséquence, le Maroc a délibérément sacrifié son développement économique au profit des «provinces du sud». Pendant quinze années de guerre, le pays a fait le douteux pari de miser sur l’aide financière de l’Arabie Saoudite dans l’achat d’armes qui allaient s’avérer inutiles, en échange de l’érection de mosquées et autres «instituts islamiques». Ce sont dans ces mêmes «instituts» que s’épanouit aujourd’hui l’islamisme radical marocain. Le cessez-le-feu établi, en 1991, le Maroc n’a cessé d’engloutir des sommes faramineuses pour entretenir une armée sur le pied de guerre et encourager la colonisation. Autant d’investissements qui ont manqué aux quartiers défavorisés des banlieues casablancaises d’où surgissent aujourd’hui les kamikazes désespérés.
Pendant trente ans, le Maroc a soigneusement entretenu l’image parfaite de l’inconstance en matière politique internationale. Si il a gardé quelques alliés inconditionnels (en premier lieu la France, impliquée plus que de raison dans la revanche amère de l’après décolonisation, se soulageant par Maroc interposé des rancoeurs à l’égard du fleuron perdu, l’Algérie), le Maroc s’est, pour longtemps, fermé la porte d’une Afrique qui compte, celle de l’Afrique du Sud, du Nigeria, de l’Ethiopie, de l’Algérie. Il a dressé contre lui une bonne partie de l’Europe et la presque totalité du continent sud-américain. Fort de la douloureuse expérience de «son» Sahara, que le Maroc porte en lui comme un foetus mort-né, il aurait pu choisir l’une des nombreuses mains qui lui ont été tendues et accoucher, en 1991, par exemple, lorsqu’il acceptait des négociations directes avec le polisario et qu’il entérinait -la main sur le coeur- les termes des accords de Houston, d’un Sahara indépendant dont il aurait pu souhaiter l’allégeance, voire, qui sait, l’alliance.
Les conseillers ne sont pas les payeurs. La France est aujourd’hui fort aise de pouvoir repousser aux calendes grecques le moindre rapprochement entre le Maghreb et l’Europe, au nom d’une instabilité politique chronique et d’une cacophonie indécente entre pays de l’improbable Union du Maghreb. Dopé par les conseils judicieux de son principal allié et les volte-face de son volatile voisin ibère, le Maroc a tenu bon. Certes, il occupe militairement, avec la violence que l’on sait, un territoire en regard duquel nul n’a encore reconnu la légitimité de l’annexion. Ainsi, au Sahara Occidental, le Maroc ne fait que durer. Chaque jour qui passe est une pierre de plus dans l’édification d’une nation que le Maroc contribue lui-même à construire. Et qui s’éloigne inéluctablement de lui. Les vaines contorsions du Maroc pour échapper encore une fois à l’incontournable ne trompent personne: le «projet d’autonomie» revient à offrir aux Sahraouis le choix de rester marocains ou ... de devenir marocains.
La faute historique dont nous parlions plus haut, aussi énorme soit-elle, n’est pas irréparable. Discrètement (car il n’était nul besoin pour cela de pavoiser) le Maroc a accepté le principe de négociations directes avec le Polisario, ce qui est en soi une reconnaissance implicite du nationalisme sahraoui. Une intelligentsia marocaine de plus en plus bavarde reconnaît volontiers qu’au Sahara, le Maroc s’est trompé. Un parti politique marocain au moins a courageusement pris la défense de la nation sahraouie.
Alors, est-ce
une raison suffisante pour espérer? Peut-on encore une fois
faire confiance au Maroc lorsqu’il semble vouloir faire un pas -un tout
petit pas- vers l’unique et incontournable solution ? Ou va-t-on encore
une fois constater, ainsi que le craignait Hassan II, que
«Maroc=inconstance» ? Mais aussi que Maroc=hypocrisie,
misère, gabegie, corruption, creuset du radicalisme religieux
sanglant ? Le Maroc est-il décidé à faire le bon
choix, celui qui le ramènera dans le giron des états,
celui qui le dédouanera de toutes ses inconstances, qui le
rétablira dans le rang des nations civilisées et non des
nations génocides, qui favorisera son décollage
économique, le protégeant ainsi de tous les
extrémismes suicidaires?
31.06.07
[Diego est l'auteur d'un recueil de poèmes publié récemment: L'an prochain à Smara, ed. L'Harmattan, 2007]