De phénomène social, la prostitution est en passe de devenir une politique d'État
Baba Sayed
Le Royaume du Maroc, c'est bien connu, est une destination touristique prisée. Les autorités marocaines, mettant à profit le sens inné de l'hospitalité de l'habitant et sa propension tout aussi naturelle à se mettre « spontanément » au service de l' « étranger », n'ont pas éprouvé de difficultés majeures à transformer, au cours des dernières décennies, le Maroc en lieu de villégiature paisible et vivement apprécié des touristes.
Bien évidemment, et comme nous le révèlent les nombreux et réguliers scandales, révélés par la presse ou chuchotés dans les douars, beaucoup de ces touristes, habitués du Maroc, ne se rendent pas dans ce pays seulement pour s'exposer, l'espace de quelques heures, à son splendide soleil, se rendre sur ses nombreux lieux touristiques, goûter ses délicieux tagines, boire sa succulente harira ou manger ses bastila ou ses baghrir.
Ils s'y rendent aussi et surtout en touristes sexuels à la recherche, dans un pays où plus du tiers de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté, pour consommer « de la chair fraîche » et abuser de petits gamins et gamines [1] qui ne jouissent, c'est de notoriété publique, d'aucune protection face aux « fauves », « rapaces » et autres pervers sexuels, « invités » d' « Amir al-Mouminin», Mohamed VI.
Qui de nous ne s'est pas senti, ces derniers temps, révolté et agressé dans ce qu'il a de plus intime, à l'écoute des frasques sexuelles de ces touristes belges, français, saoudiens ou émiratis qui sont arrivés à se constituer pendant des semaines, avec des poignées de dollars, des harems dignes des mille et une nuit ? Qui de nous ne s'est senti humilié dans sa dignité humaine quand il entend, racontées par des collègues marocains, les révoltantes histoires sur le comportement d'émirs du golfe et leurs manières de traiter, dans leurs nombreuses villas cossues de Casablanca par exemple, les femmes marocaines comme simple marchandise à acheter ou à vendre, et ce, au moment même où les autorités marocaines proclament que la Moudawana a consacré l'égalité, dans la dignité, entre femmes et hommes marocains ?
Qui de nous n'a pas vu ou entendu un de ces milliers de gamins à qui l'on a volé l'innocence raconter, les larmes aux yeux et la mort dans l'âme, ses mésaventures avec des touristes étrangers qui, sous le prétexte de lui offrir un repas chaud ou un gîte décent, n'ont pas hésité à en abuser sexuellement avant de le jeter, comme un citron pressé, le lendemain, dans les ruelles de Rabat, Marrakech, Agadir ou Taroudant ? [2]
Qui de nous n'a pas vu ou entendu, ces derniers temps, des prisonniers(ères) politiques décrire, étranglés par les larmes, les scènes de viols auxquels se livrent régulièrement (parfois à l'aide de barres de fer, bâtons ou morceaux de verre de bouteilles cassées) des commissaires de police ou de simples flics contre des détenus(es) [3], dans les commissariats de sa « Majesté, Amir al-Mouminin » ?
Ces mésaventures sont tellement fréquentes qu'elles sont devenues « banales». En tout cas, à cause certainement du degré élevé d'occurrence et de leur ressemblance, l'on n'est plus tenté, dans le Royaume de sa « Majesté, Amir al-Mouminin », d'y prêter qu'une attention, somme toute, discrète et très relative.
Et elles n'auraient certainement pas fait l'objet de notre chronique, aujourd'hui, si, de phénomène social, la prostitution au Maroc n'est devenue l'une des politiques privilégiées par l'État marocain dans sa guerre contre le peuple sahraoui.
L'on connaît, depuis longtemps, le danger extrême que constitue, pour la stabilité de la monarchie marocaine et son avenir, la persistance du conflit du Sahara Occidental. Et l'on ne sait que très bien également les efforts importants déployés, depuis les trois dernières décennies, sur tous les plans par le Royaume pour y faire face et en limiter les dégâts . [4]
Il faut cependant reconnaître que l'intérêt pour le conflit du Sahara Occidental n'a jamais pris une importance aussi prépondérante et exceptionnelle dans la politique marocaine que sous le règne de l'actuel monarque, Mohamed VI. En effet, depuis l'accession de ce dernier au trône, le Royaume donne l'impression de ne vivre, ces dernières années, qu'au rythme de la question sahraouie devenue la priorité nationale absolue par excellence.
Dans la mesure où le Maroc ne dispose pas d'atouts particuliers et qu'il a perdu, depuis la fin de la guerre froide, le peu d'intérêt que lui accordaient, jusqu'alors, les grands de ce monde (à l'exception notable de la France), il a jugé impératif de trouver de « nouveaux » moyens dont il pourrait se prévaloir auprès des grandes puissances pour pouvoir défendre la « marocanité » du Sahara Occidental. Et il n'en a apparemment trouvé de plus approprié que celui de se livrer à une diplomatie de « prostitution ».
C'est ainsi que l'on a vu le Royaume sous-traiter pour le compte de la CIA à Tamara dans la région de Skhirat, les prisonniers de Guantanamo, signer un contrat de commerce avec les Américains, tout ce qu'il y a de désavantageux pour l'économie marocaine, et proposer à l'actuelle Administration américaine une base militaire à Tan-Tan (dans le sud du Maroc).
Pus grave, au moment où le peuple palestinien, assiégé et affamé, est l'objet d'une politique d'extermination de la part des forces d'occupation israéliennes, décidées à lui faire payer ses choix démocratiques, sa « Majesté Amir al-Mouminin », dans l'espoir d'obtenir le soutien du lobby juif américain dans sa guerre contre le peuple sahraoui, n'a pas hésité à assumer, à la face du monde, son rôle de traître à la cause arabe et musulmane.
En lançant une invitation officielle à Éhoud Olmert,, le chef de l'entité sioniste, à visiter le Maroc, Mohamed VI montre, désormais, qu'il est prêt, en vue d'asservir le peuple sahraoui, de s'allier avec le diable.
Dans sa volonté toute infantile de vouloir, à tout prix, bâillonner le peuple sahraoui, le roi du Maroc oublie (ou feint d'oublier) cependant que ce dernier, en peuple pieux, est pleinement conscient que « lorsque les rois entrent dans une cité, ils la corrompent, et font de ses honorables citoyens des humiliés. Et c'est ainsi qu'ils agissent . » [5]
Cette conscience dont il est imprégné de ne jamais accepter de se soumettre aux rois ni de faire partie de leurs « sujets » n'est certainement pas le moindre des motifs qui le poussent à continuer de tenir tête au roi actuel du Maroc, et s'il faut à ceux qui viendront après lui.
06.05.06
[1] Bladi.net: Prostitution Maroc , Marrakech : enquête sur la prostitution infantile. Briser un tabou marocain. Dossier Prostitution, L'économiste 26.07.04.
[2] Maroc: Le business du sexe, Le Journal-Hebdo No 196, 19-26.02.05.
[3] Voir sur le site de l'Arso, les dernières photos des dernières manifestations de Smara, dans les zones occupées du Sahara Occidental
[4] Tuquoi, Jean-Pierre, Majesté, je dois beaucoup à votre père. France-Maroc, une affaire de famille, Paris, Albin Michel, 2005
[5] Coran, ch. 27, sourate 34