Le Maroc, instrument de la France pour continuer de régler ses comptes avec l'Algérie ?
Baba Sayed
Pour ceux et celles qui s'en montraient encore sceptiques, il apparaît, à la lumière des nombreuses preuves accumulées et pièces versées au dossier ces derniers temps, que le doute n'est plus permis. La monarchie marocaine ne survit, ne résiste à l'usure des temps et à la rudesse des coups qui lui sont, régulièrement, portés par un peuple révolté, à la fois, par son caractère suranné et médiéval que par les pratiques, d'un autre âge, de ses symboles, que grâce aux relations « spécifiques » que les monarques marocains successifs ont réussi à tisser et à entretenir avec les dirigeants (de droite comme de gauche) de la République française. Ces relations, faut-il y insister, défient, par leur nature et les motivations qui les sous-tendent, toute logique et bon sens. C'est en tout cas ce que le journaliste du Monde, Jean-Pierre Tuquoi, vient de monter par une enquête qui s'impose comme l'une des plus sérieuse et fouillées jamais consacrée, jusqu'ici, au sujet .[1]
Venant après celle fort bien documentée réalisée, à la fin des années quatre vingt, par Gilles Perrault [2], l'enquête de Jean-Pierre Turquoi sur les rapports franco-marocains a, faut-il y insister, l'incontestable mérite de lever un important coin de voile sur ce qui apparaît bien comme une « amitié honteuse » entre les dirigeants de la « patrie des droits de l'homme et du citoyen » et les symboles d'un Royaume considéré comme l'un des plus archaïques, corrompus et liberticides de la planète.
Dans le cadre de ce qui apparaît comme une relation, à tous points de vue, « exceptionnelle et spécifique » entre le Royaume alaouite et la République française, la division du travail et le partage des rôles entre officiels marocains et français ne semblent être dictés que par des intérêts « mutuellement » avantageux.
Aux rois du Maroc d'assurer à leurs illustres hôtes français, dans de grands palaces ou des bleds de rêve (c'est au choix), les gîtes et les couverts et à ces derniers revient la tâche -peu exaltante et peu gratifiante il faut le reconnaître pour les dirigeants d'un pays qui se veut, après tout, non seulement la patrie des droits de l'homme et du citoyen mais aussi le garant de leur application- de défendre, en toutes circonstances, le Royaume chérifien contre tout ce qui pourrait écorner ou « salir » son image de marque, voire le déstabiliser ou le menacer. Ce qui signifie, entre autres tâches dans la pratique, que les dirigeants français doivent non seulement se tenir mobilisés pour aider les responsables marocains à affronter les manifestations régulières de colère de leur propre peuple, ce qu'ils ont toujours fait avec une détermination constante, les conseiller et les soutenir, au sein des organisations internationales (y compris le conseil de sécurité des Nations unies) dans leurs efforts tendant à « faire désespérer » le petit peuple sahraoui en lutte contre le Royaume à pouvoir, un jour, recouvrer ses droits [3], mais aussi à les « couvrir », régulièrement, contre les critiques unanimes d'organisations internationales qui, comme Amnesty International, Humain Right watch, la Fédération internationale des droits de l'homme ou le Parlement européen qui ne cessent de dénoncer les pratiques des dirigeants du Royaume en matière de libertés et des droits de l'homme, pratiques qu'elles jugent, en règle générale, révoltantes et scandaleuses.
Au terme de cette entente explicite, la France s'est résolument rangée aux côtés du Royaume et de ses deux derniers rois successifs, Hassan II et Mohamed VI. Pour les protéger et préserver leur pouvoir, elle s'est trouvée mobilisée sur tous les fronts. Du Conseil de sécurité des Nations unies, de l'Afrique au Maghreb en passant par les organismes spécialisés de l'Union européenne, La France n'a ménagé ni ses efforts ni ses moyens pour soutenir les rois du Maroc et conforter leur pouvoir. Et contrairement à la vision commode et caricaturale entretenue par certains, « la défense des intérêts industriels français, insiste Jean-Pierre Tuquoi, n'expliquent pas forcément le traitement de faveur dont bénéficie le Maroc . [4] »
A ceux qui laissent supposer que « le caractère exceptionnel » de la relation entretenue par les dirigeants de l'Hexagone avec les rois du Maroc s'expliquerait par l'importance des intérêts économiques français au Maroc, Turquoi se montre catégorique « La France est un partenaire essentiel pour le Maroc, alors que l'inverse n'est pas vrai. Le Royaume pèse en effet de peu de poids dans la vie économique française. Son rôle est marginal .[5] » Et Tuquoi de soutenir que « Vu de Paris, l'Algérie est un client et un fournisseur autrement plus significatif .[6] »
Alors, si le Royaume du Maroc n'est pas le partenaire important, voire stratégique que la classe politique française (de gauche comme de droite) n'a de cesse de célébrer, qu'est ce qui explique ou justifie cette proximité « honteuse » entre la République française et la monarchie de droit divin qu'est le Royaume du Maroc ?
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, une seule explication s'impose : une haine commune vouée à l'Algérie et une volonté tout aussi commune de tout faire pour l'empêcher de s'imposer dans son environnement comme la force régionale principale, voire la faire trébucher et la déstabiliser !
Dans le cadre de cette stratégie « commune » qui pourrait paraître « mutuellement » avantageuse, le Royaume qui croyait, à tort, servir ses intérêts en se donnant, au sens propre et au figuré, à la France n'est en réalité que l'instrument commode et docile d'une République revancharde qui n'a jamais accepté, ni oublié et encore moins pardonné à l'Algérie, à son peuple et à ses dirigeants, un certain 5 juillet 1962 !
A méditer le spectacle désolant de division que la France ne cesse d'entretenir au sein du Maghreb, depuis les trente dernières trente dernières années, un jeu que les deux derniers rois successifs du Maroc, Hassan II et Mohamed IV se sont faits leur, il ne reste aux peuples de l'Afrique du Nord (peuples sahraoui et marocains compris) que d'attendre et espérer l'avènement, aussi bien en France qu'au Maroc, de relèves politiques responsables qui pourraient, un jour, prendre au sérieux le concept de gouverner (qui est « prévoir » et non constamment « regarder dans le rétroviseur ») et permettre enfin aussi bien au Maghreb qu'à l'autre rive de la Méditerranée de s'atteler, dans la paix et l'amitié retrouvées, à l'exaltante tâche de la paix et du développement.
29.04.06
NOTES
[1] Tuquoi, Jean-Pierre, « Majesté, je dois beaucoup à votre père », France-Maroc, Une affaire de famille, Paris, Albin, 2006
[2] Perrault, Gilles, Notre ami, le roi, Paris, Gallimard, 1990
[3] « l'Élysée est convaincu, précise Tuquoi, qu'un référendum serait suicidaire pour le Royaume. Une majorité de la population, et pas seulement parmi les Sahraouis, risque de voter en faveur de l'indépendance. l'ambassadeur de France a osé le dire en son temps à Hassan II, ce qui lui a valu les foudres de Driss Basri. », Ibid., p. 97
[5] Ibid., p.145
[6] Ibid., p.145