Que s'est-il passé ? Comment on en est-on arrivé là ?
Baba Sayed
Depuis la fin des années soixante jusqu'à nos jours, les Nations Unies n'ont cessé de considérer le conflit du Sahara Occidental comme un problème de décolonisation dont la solution réside dans l'organisation d'un référendum d'autodétermination qui doit, dans des conditions de transparence et d'honnêteté avérées, permettre au peuple sahraoui de choisir librement son devenir (1). Cette approche régulièrement réaffirmée chaque année par la communauté internationale, a été constamment « boudée » par la nouvelle puissance occupante du territoire depuis 1975, le Royaume du Maroc (2).
Confronté au grave danger que représente pour lui et pour l'avenir de la monarchie une armée, révoltée par ses pratiques féodales et décidée de débarrasser le Maroc de son régime autoritaire et corrompu, le roi du Maroc, Hassan II, avait décidé en 1975, l'on se souvient, d'envahir militairement le Sahara Occidental. Cette invasion devrait, entre autres avantages, lui permettre en plus de « fixer », loin des Palais royaux, l'essentiel des effectifs d'une armée devenue dangereusement menaçante, de forcer l'opposition marocaine d'embrasser jusqu'à la mort la nouvelle « cause » marocaine, d'asservir le peuple sahraoui et de disposer, à sa guise, de ses richesses. L'on sait aujourd'hui, avec le recul, que si trois des objectifs conçus ont été pleinement réalisés, un continue cependant de toujours poser de sérieux problèmes à la monarchie même après la disparition de Hassan II.
En effet, si à la faveur de la guerre d'invasion du Sahara Occidental, le roi a pu « vider » le royaume de son armée et ainsi régler ses comptes avec elle loin de tout regard indiscret, « ferrer » l'opposition et la transformer en force d'appui, servile, à la monarchie, disposer des richesses du Sahara Occidental pour rétribuer ses sujets les plus fidèles, asservir le peuple sahraoui s'est avéré, trente ans après l'invasion du Sahara Occidental, un objectif au dessus des capacités et des moyens de la monarchie.
L'héroïque combat livré par le peuple sahraoui et la solidarité fraternelle, ferme et désintéressée que lui ont témoigné, avec constance, le peuple algérien et ses dirigeants, ont, en effet, faussé les calculs du Makhzen et démenti les prévisions de ses mentors de l'hexagone. Avec les épreuves et les défis, la volonté du peuple sahraoui, loin d'affaiblir, s'est affirmée et renforcée. Dès lors la poursuite de la guerre est devenue, au fil des mois et des années, pour le Maroc un gouffre et une charge considérable que les modestes économies du Royaume ne peuvent, sans réels dangers pour la stabilité de la monarchie, longtemps supporter. Du coup, le roi ne peut plus ne plus se rendre à l'évidence et admettre que la solution militaire est devenu, en les circonstances, un pari impossible à tenir. Le terrain a été du coup déblayé, ou ainsi a-t-on cru, devant la possibilité d'envisager sérieusement la solution politique, c'est-à-dire l'organisation de ce fameux référendum d'autodétermination jusqu'ici systématiquement refusé par ses soins.
Ceux et celles qui, de l'intérieur du Polisario, ont essayé de tempérer les ardeurs de la direction du Polisario et ont essayé de leur montrer que le Maroc, loin d'abandonner ses visées expansionnistes au Sahara Occidental, n'a fait que changer son fusil d'épaul, pour des raisons d'opportunisme politique, ont été vite marginalisés pour « pessimisme » exagéré. Il faut reconnaître que les tenants de la ligne optimiste, ne maquaient pas, à l'époque, d'arguments solides et convaincants à l'appui de leur thèse. Les bouleversements intervenus, sur le plan international, avec l'éclatement de l'empire soviétique et l'importance acquise par l'organisation des Nations unies dans l'immédiat après guerre froide, la pression intérieure et extérieure exercée sur des régimes autoritaires, comme le régime marocain, pour les amener à se montrer respectueux des droits et libertés fondamentaux de l'homme, …etc., ont été, entre autres, quelques facteurs déterminants qui laissaient effectivement supposer la possibilité de nécessaires révisions dans les pratiques et les comportements de régimes despotes comme celui de Hassan II.
Quatorze ans après l'intervention du cessez-le-feu et le déploiement des forces des Nations unies (MINURSO) dans le territoire, quel est l'état des lieux ?
Courant derrière une hypothétique solution politique qu'elle croyait à la portée de sa main, la direction du Polisario, oubliant que toute politique qui ne repose sur un minimum de moyens qui la rendent crédible n'est que du verbiage, a accepté, avec une naïveté coupable, de se lester de ses atouts majeurs. Lâchant la proie pour l'ombre, elle a démantelé ses unités combattantes, substitué aux pratiques qui privilégie les valeurs et les principes de l'égalité et de la justice, des pratiques et un discours tribal, opportunistes et démobilisateurs, par lesquelles elle croyait, comble de stupidité et de manque d'intelligence, pouvoir « ratisser » large en vue du référendum prévisible. Aux critères de compétence, privilégiés pendant de longues années, dans le choix des cadres de la fonction publique, avec le cessez-le-feu et les préparatifs « fiévreux » en vue du « combat » pour le référendum, il suffisait d'être le fils ou le parent proche de tel Harki ou de tel traître, un membre de telle ou de telle tribu, pour se trouver investi de la confiance de la direction du Polisario et faire l'objet de toutes ses attentions.
Le passage de l'étape de la révolution à celle de la mise sur pied d'un État patrimonial, tribal et corrompu a été brutal et sans transition. Et c'est à notre avis ce passage et l'état de métamorphose qu'il provoqué au niveau des pratiques et des comportements qui a causé, à notre avis, le plus grand tort au peuple sahraoui, entamé la détermination des combattants de sa cause, et permis au Royaume du Maroc de facilement récupérer, à la faveur du cessez-le feu, ce qu'il a semblé avoir perdu tout au long de la guerre.
Les dégâts pour le Polisario et sa direction auraient été sans doute beaucoup plus sérieux et graves, voire irréversibles, si le nouveau roi du Maroc, Mohamed VI, aurait préféré de servir le peuple marocain au lieu de s'en servir en se contentant de régner sans gouverner. Dans ce cas, le Polisario aurait bien pu paraître, à tous égards, une entité ringarde aux côtés d'un Royaume dynamique qui aurait choisi d'épouser son temps et consenti les sacrifices requis pour s'y adapter.
Il faut cependant reconnaître que même si le roi s'est privé volontairement privé des chances que lui aurait procuré la possibilité de régner sans gouverner et s'est montré jaloux de ses prérogatives d'autocrate, il est quand même arrivé, c'est un constat qui participe de l'évidence pour tous ceux et celles qui suivent de près ce dossier, à mettre la direction du Polisario dans une situation défensive qui risque, si elle perdure, de la discréditer et de la déstabiliser définitivement.
Car une fois qu'il a réussi, avec son accord, de lui mettre le doigt dans le grenage de l'autonomie et d'obtenir d'elle qu'elle renonce, même de manière limitée dans le temps, à sa revendication essentielle, à savoir l'organisation d'un référendum d'autodétermination comme unique et seule possibilité de résoudre le conflit (3), le roi ne cesse depuis lors, l'appétit vient en mangeant, d'élever la barre en multipliant en même temps que les demandes de davantage de concessions, les signes d'intransigeance et d'arrogance.
Refusant toute perspective de référendum qui pourrait se solder par une indépendance du territoire, et sévissant contre les citoyens (nes) sahraouis civils qui rejettent, pacifiquement la marocanité du Sahara Occidentale, le roi semble décidé, depuis les derniers mois, d'utiliser tous les moyens devant lui permettre de retourner l'arme des droits de l'homme contre le Polisario. Depuis la dernière intifada des zones occupées du Sahara Occidental, l'appareil du Makhzen et ses nombreux relais, sur le plan intérieur et extérieur, sont mobilisés contre le grand « méchant » algérien et ses amis Sahraouis accusés, en les circonstances, de tous les péchés et les félonies. Dans le cadre de cette stratégie du pire, des centaines de militaires marocains, après avoir été utilisés comme chair à canon et ignominieusement ignorés, une fois tombés prisonniers entre les mains des Sahraouis, pour des raisons de basses politiques, sont produits devant les télévisions du monde comme preuve à conviction de l'inhumanité supposée du peuple sahraoui qui leur a assuré pourtant, faut-il y insister, des années durant, gîtes et couverts.
Venus au Sahara Occidental, dans le cadre d'une occupation militaire condamnée par l'ensemble de la communauté internationale et avec l'intention préméditée et publiquement assumée d'y semer la mort et la terreur, ces soldats sont mis à contribution par les services de renseignements marocains -ceux-là mêmes qui ont conçu et mis sur pied les prisons de Tazmamart, Kalat Amgouna, Der Moulay Chérif et autres mouroirs où des centaines de paisibles civils sahraouis, hommes, femmes et enfants, ont péri- pour, comble de l'ironie, traîner dans la boue le peuple sahraoui. Le soldat marocain, symbole de la répression et de la terreur au Sahara Occidental et même dans son pays, est devenu l'objet de l'attention et de la sollicitude des organisations internationales et des puissants de ce monde, alors que nos compatriotes, civils et désarmés, qui se sont contentés de demander à la communauté internationale d'honorer ses engagements vis-à-vis d'eux, sont systématiquement jetés en prison, torturés et risquent à tout moment, au vu et au su du monde entier, de perdre la vie. La vie du bourreau marocain est-elle plus précieuse ou plus importante que celle de ses victimes sahraouies ? Pourquoi quelle raison ?
Que s'est-il passé ? Comment on en est-on arrivé là ? Nous voudrions savoir !
14.09.05
1. Cf. DE SAINT MAURICE (Thomas) - Sahara occidental 1991-1999: l'enjeu du référendum d'autodétermination - L'Harmattan, Paris, 2000
2. Idem
3. Voir, pour plus de détails, sur ce sujet, ce qui est convenu d'appeler le second Plan Baker