Courant au
devant des désirs de « sa Majesté »,
Saâddine El Othmani et ses amis du parti de la justice et du
développement (PJD), ne semblent plus s'imposer de limite
à leur politique de compromission avec la monarchie marocaine
et sa force de frappe, le Makhzen. Dans une interview qu'il vient
d'accorder au quotidien marocain, Aujoud'hui
Le Maroc
, le leader du PJD, affirme sa volonté d'organiser au
Maroc, le 11 janvier 2006, une importante conférence pour
montrer le bien fondé de la proposition royale d'accorder une
large autonomie, dans le cadre du Royaume, au Sahara Occidental.
Cette conférence internationale est destinée à
attirer, si l'on se fie aux déclarations du même
Saâddine El Othmani, des experts de différents pays et
dont les positions pro-marocaines sont vérifiées et
connues à l'avance. C'est, en tout cas, ce qu'affirme le
« très démocrate » Saäddine El Othmani
qui exclut de ses invités tout autre expert qui pourrait
manifester à propos du Sahara Occidental d'autres avis ou
opinions contraires à ceux défendus par l'appareil du
Makhzen et ses relais, quand il soutient, avec force et conviction,
que « Bien sûr, on ne va pas inviter [à la
conférence] des gens qui sont contre
«l'intégrité territoriale» de notre pays.
Mais il faut dire aussi que, d'après les contacts qu'on a
faits, l'idée d'autonomie lancée par Sa Majesté
le Roi est très bien accueillie par les observateurs et les
hommes politiques dans ces pays » . Autant dire que la
principale visée poursuivie par le PJD à travers la
tenue de cette conférence est de servir aux Marocains, dans le
langage soft, cette fois, d'experts acquis aux thèses
marocaines, les éléments de ce que l'Ambassadeur
algérien aux Nations unies M. Baâli appelle, avec sa
franchise et son humour coutumiers, le sempiternel discours indigeste
par lequel le Maroc a essayé, depuis les trente
dernières années, d'établir, avec la fortune que
l'on connaît, la marocanité du Sahara Occidental.
Ce que ne dit
pas le leader du PJD et que les lecteurs (trices) doivent savoir
c'est que le peuple sahraoui et sa cause semblent être, depuis
les deux dernières années, des cartes que le PJD essaie
de monnayer, sans vergogne, avec le Makhzen contre sa propre survie
politique. En effet le PJD aujourd'hui, comme l'opportuniste parti du
progrès et du socialisme (PPS) en 1975, hier, ne semble
garantir sa survie politique et se soustraire aux foudres de
l'appareil de répression du Makhzen qu'en contrepartie de ce
qui semble bien être un engagement, sans
précédent, de sa part, de défendre la «
marocanité » du Sahara Occidental. En effet, comme le
PPS, après les rafles massives qui ont visé les milieux
de gauche en 1975, le PJD ne semble parier, après les
sanglants attentats de Casablanca de 2003, que sur ce qui a tout
l'air d'être un nouveau deal avec le Makhzen : pour avoir la
possibilité de conserver son étiquette de parti
légal, éviter toute confrontation directe
avec le Makhzen, et pouvoir préserver les acquis et
les privilèges obtenus par sa nomenclature, le PJD doit,
dorénavant, faire de la défense de « la
marocanité » du Sahara Occidental, sa priorité
absolue aussi bien au niveau international qu'au niveau national.
Pour honorer les engagements pris dans le cadre de son deal avec le
Makhzen, les représentants du PJD n'ont pas
hésité, au cours des dernières semaines,
à prendre, en télégraphistes du roi, leur
bâton de pèlerinage pour aller « expliquer »
à l'Algérie et à l'Espagne le « bien
fondé » des thèses marocaines sur le Sahara
Occidental.
Sur le plan intérieur, et après avoir organisé
durant les dernières semaines, en commémoration de la
marche « verte », avec la bénédiction et la
couverture médiatique de l'appareil du Makhzen, la caravane de
silat arrahim destinée à « réaffirmer
» les liens de « fraternité » entre populations
sahraouies et marocaines, les dirigeants du PJD, qui, ne semblent
décidément pas perdre leur temps pour donner à
« sa » Majesté et à ses « ses serviteurs
dévoués du Makhzen » le maximum de gages de leur
sérieux et de leur efficacité, s'apprêtent
à accueillir, dans les prochains mois, au Maroc la
conférence internationale sur l'autonomie du Sahara
Occidental.
En suivant de loin les manifestations de cette « danse de ventre » par laquelle Saâdeddine El Othmani et ses amis du PJD essaient de s'attirer les bonnes grâces du Makhzen et de ses relais, je n'ai pu m'empêcher de penser à la fois au pieux et courageux Cheikh Abdessalam Yassine, guide de Jama'at Al-Adl Wa-Al Ihssan (mouvement de la justice et de la bienfaisance) et au perspicace Abdel Raahman El Kawakibi, célèbre poète arabe ayant vécu au Xe siècle.
J'ai pensé d'abord à cheikh Abdessalam Yassine Parce qu'il est l'un des rares marocains qui face au problème du Sahara Occidental a su adopter une position, à tous égard, digne, conséquente et, aux yeux du droit et de l'éthique, irréprochable. Recevant, il y a quelques années des Sahraouis venus lui rendre visite, il n'a pas hésité à leur tenir un langage de sincérité et de vérité qu'aucun marocain n'a su, jusqu'ici, leur tenir. Avec son courage et sa sincérité coutumiers, le Cheikh Yassine leur a dit, à peu prés, ceci : « Si vous croyez pouvoir édifier, sur la base de la Loi, votre État, allez-y nos vux vous accompagnent ! Mais si vous croyez ne pas pouvoir le faire, joignez-vous à vos frères marocains pour les aider à réformer le leur !! » [1]
Dans l'adresse du pieux cheikh, il n'est question, nous l'avons remarqué, ni de chimériques et obscures liens historiques, particuliers et spécifiques, entre le Sahara et le Royaume du Maroc, ni de bei'a (allégeance) que les Sahraouis auraient un jour prêté aux rois marocains, ni de régionalisation et encore moins de marocanité de quelqu'un ou de quelque chose. Il est question seulement de l'avenir de Sahraouis adultes, de leur propre choix, de leurs propres intérêts et des meilleures manières de les préserver et de les sauvegarder.
Devant Dieu, sa propre conscience, et histoire, le pieux Cheikh Yassine, se présente aux Sahraouis, fidèle à lui-même, fidèle à cette image que tous ceux et celles qui le connaissent directement ou par réputation ont, de tout temps, gardée de lui : un homme pieux et désintéressé qui consacre sa vie à répandre, parmi les êtres humains, Marocains, Sahraouis ou autres, considérés par lui comme des adultes, dotés de capacités de discernement et de libre choix, justice et bienfaisance...
En suivant de loin les symptômes de la métamorphose du PJD, métamorphose qui est en même temps la manifestation de cet art consommé qu'a le Makhzen de manipuler les acteurs de la scène politique marocaine, à côté du pieux Cheikh Yassine, j'ai pensé aussi du lucide et courageux poète, Abdel Rahaman El Kawakibi qui, au Xe siècle de notre ère soutenait, avec une perspicacité digne de respect et d'éloge, que « la cause la plus grande de la décadence [des nations musulmanes] est [ ] [l'existence] d'hypocrites et d'arrivistes qui s'abaissent devant [les princes], détournent les préceptes de la religion pour faire leurs désirs [ ] achètent le temporel par le spirituel [ ] baisent la main du prince pour que le peuple baise leurs mains, [ ] se méprisent devant les Grands pour être grands vis-à-vis des milliers de faibles ? » [2]
Entre Cheikh Yassine et Abdel Rahaman El Kawakibi, d'une part, Saädeddine El Othmani et ses amis du PJD, de l'autre, nous l'avons compris, non seulement les approches sont différentes mais les éthos sont sinon opposés, du moins très distincts! S'agit-il de ces deux éthiques de la conviction et de la responsabilité que Max Weber [3] nous a rendues familières dans son célèbre ouvrage, le savant et le politique ? Ou plus prosaïquement de ce syndrome que Timothy Garton Ash nomme « le duel des deux Vaclav » ? [4]
On pourrait, à tort, à première vue le penser !
Il s'agit tout simplement de deux visions du monde et de deux manières de se comporter avec les êtres humains.
08.12.05
[1] Je rappelle aux Sahraouis (es) que l'offre de Cheikh Yassine doit mériter toute notre attention. Et nous devons un jour choisir : entre une République bananière, les mauvaises langues disent République fantomatique, présidée par un cancre et où rien ne semble, depuis les dernières années, tourner en rond, et un Royaume marocain où le seul droit reconnu aux trente millions de « sujets » est, à côté de celui de se plier en quatre et de faire le baisemain habituel, celui d'obéir.
[2] Propos rapportés par Corm, Georges, L'Europe et l'orient. De la balkanisation à la libanisation, histoire d'une modernité inaccomplie, Paris, La Découverte, 1991, p. 200
[3] Weber, Max, Le savant et le politique, Paris, Plon, pp. 167 et suivantes
[4] Garton Ash Timothy., Prague : Intellectuals and Politicians, The New York Review of Books, 12th January 1995, pp. 34-41