Rome brûle, serions-nous des Nérons qui accepteraient de regarder le désolant spectacle sans vouloir rien faire ?
Baba Sayed
Après une guerre de libération nationale, courageuse et opiniâtre, qui a mobilisé ses énergies et ses forces, depuis 1885 jusqu'en 1975, contre le colonialisme espagnol, et contre l'occupation marocaine d'une partie de son territoire, du 31 octobre 1975 jusqu'à nos jours, personne ne pourrait plus, de bonne foi, mettre en cause la volonté du peuple sahraoui de vouloir être indépendant, ni son aspiration sincère et légitime de disposer, aux côtés des autres États maghrébins, du sien propre.
Après des décennies de guerre de libération nationale au cours desquelles le peuple sahraoui a accepté de consentir d'énormes sacrifices et enduré, avec courage et stoïcisme dont peu de peuples ont fait preuve, différentes formes de souffrances et de privations, deux constats qui participent désormais de l'évidence s'imposent, le bien fondé de ses légitimes revendications nationales, et par conséquent le fait que l'occupation d'une partie de son territoire par l'État marocain n'est que l'expression de visées coloniales aussi injustes et injustifiée qu'inacceptables.
Les dirigeants des États qui, par intérêt, pragmatisme ou simplement par complaisance avec les sultans successifs du Maroc, n'ont pas jugé nécessaire d'accorder, dans le passé, beaucoup d'importance dans leur évaluation de la question du Sahara Occidentale aux considérations relatives au droit et à la justice, ne peuvent désormais ignorer la farouche volonté du peuple sahraoui de disposer de son avenir sur son territoire. Après trois décennies de guerre implacable livrée par les citoyens(nes) sahraouis des campements de réfugiés et des zones libérées du Sahara Occidental, contre l'occupation marocaine, les habitants(es) des zones occupées du Sahara Occidental viennent de manifester massivement, à leur tour, leur rejet de l'occupation marocaine. En effet, ces zones occupées que la propagande marocaine a essayée de présenter, pendant des décennies, comme des laboratoires réussis de la « marocanité » du Sahara Occidental, n'ont cessé, depuis l'intervention du cessez-le-feu sous l'égide de la MINURSO (la mission des Nations unies pour un référendum au Sahara Occidental), de manifester, à travers une intifada généralisée, et ce, malgré une présence militaire et policière marocaine dont les effectifs, faut-il y insister, dépassent, largement, leur nombre, leur ras-le bol de l'occupation marocaine.
Pourtant quand on dit ce que l'on vient de dire, on ne décrit qu'une partie de la vérité. Car pour que ce discours soit complet, convaincant et surtout utile et honnête, il faut aussi qu'il intègre et embrasse l' « autre » partie forcément moins reluisante de la réalité encore invisible à des yeux non avertis, celle que le Polisario et une grande partie des Sahraouis veulent cacher ou faire semblant d'ignorer. Et l'autre partie de la réalité est que ce peuple sahraoui indomptable et courageux qui a pu résister, des décennies durant, à tous ses ennemis, Espagnols hier, Marocains et Français aujourd'hui, et déjouer toutes leurs tentatives et manoeuvres visant à l'asservir, ce peuple sahraoui est, hélas, en train de mourir à petit feu sous nos yeux, lentement mais sûrement !
Dans les zones occupées du Sahara Occidental, nous l'avons constaté, au cours des derniers mois, le Maroc est décidé à réprimer, dans le sang s'il le faut, toute manifestation identitaire ou aspiration indépendantiste de la part des Sahraouis (es). La région, quadrillée par l'armée royale marocaine assistée de tous les corps militaires et paramilitaires du ministère de l'intérieur, vit, depuis les dernières années, un état d'exception qui permet aux éléments du makhzen de traquer, voire de liquider, avec une impunité totale, tous les Sahraouis soupçonnés de ne pas accepter la « marocanité » du Sahara Occidental. En y interdisant, les derniers mois, l'accès à tous les étrangers (organisations des droits de l'homme, les journalistes, les parlementaires etc.,), le Maroc a apporté la preuve, devant une communauté internationale impassible, voire complice, qu'il peut en disposer et disposer de ses habitants à sa guise. Et l'on sait de science certaine, sur la base des nombreuses et horribles expériences comme celles de Kal'at M'gouna, Tazmamart, Derb Moulay Chérif et autres mouroirs organisés par les sbires du ministère de l'intérieur marocain, que quand le Makhzen peut espérer jouir dans un endroit de l'impunité, les conséquences, pour les hommes et leur dignité, ont souvent été incalculables, catastrophiques et indescriptibles !
Dans les campements de réfugiés, la situation des Sahraouis n'est guère plus réjouissante ni plus enviable. Et ce, même si les GUS, ces fameux groupes urbains de sécurité qui sèment quotidiennement la mort et la terreur dans les zones occupées du Sahara Occidental n'y existent pas.
Abandonnés à leur triste sort par une direction du Polisario devenue, depuis longtemps, par la volonté de M. Mohamed Abdelaziz, l'ombre d'elle-même, les réfugiés sahraouis ne savent plus à quel saint se vouer.
Convaincus que le « roitelet » Mohamed Abdelaziz ne serait, à aucun prix, disposé de se défaire de l'extraordinaire pouvoir qu'il détient ni de le partager avec d'autres, que les Nations unies sont incapables, du moins à court terme, à cause, d'une part, de l'impardonnable frilosité des vis-à-vis sahraouis de la MINURSO et de leur manque d'imagination, et de la pression conjuguée, d'autre part, de la France et de l'Espagne, d'honorer leurs engagements à leur égard, les réfugiés (es) sahraouis (es), déçus et désespérés, ne savent plus que faire. Et cette situation pénible et désespérément décourageante des réfugiés sahraouis (es) pourraient bien malheureusement, si rien n'est rapidement fait pour y remédier, se dégrader, voire même empirer dans les mois et les années à venir. Car, nous le savons tous, Mohamed Abdelaziz a montré, tout au long des trente dernières années, qu'il n'est intéressé que par une chose, rester aussi longtemps que possible le seul maître à bord du bateau sahraoui même si cela lui demande de jeter tous ses passagers par-dessus bord. Ceux qui sont familiers avec les campements de réfugiés savent qu'après les départs massifs, ces dernières années, de milliers de sahraouis vers l'Espagne et les pays limitrophes, les passagers sahraouis qui tiennent encore à rester à bord du bateau en perdition de Mohamed Abdelaziz, sont de moins en moins nombreux. Et ces départs massifs vers l'exil, étant donné la gravité de la situation dans les campements de réfugiés, sont, malheureusement, appelés à se poursuivre et à s'accélérer irrésistiblement dans les mois et les années à venir. Car nous savons tous que Mohamed Abdelaziz, pardon, « sa majesté » Mohamed Abdelaziz n'est aucunement disposé à changer ses méthodes archaïques de diriger le Polisario et qu'il est toujours pleinement convaincu que ce qu'il fait ou avait fait, depuis trente ans, est exactement ce qu'il faut absolument faire, ce qu'il y a de meilleur à faire !
Nous connaissons tous ses jugements sévères et ses sautes d'humeur quand il s'agit de ceux et de celles qui ont mis en cause sa compétence ou critiqué sa gestion catastrophique des affaires sahraouies et qu'il a toujours pris, soit pour des agents au service de l'ennemi, soit, pour des assoiffés du pouvoir qui veulent lui ravir « illégitimement » le sien !
Comme nous savons tous que le Polisario, c'est-à-dire Mohamed Abdelaziz et son dernier carré de fidèles, détient tous les moyens de survie et que la majorité des Sahraouis en sont totalement dépendants et que Mohamed Abdelaziz est passé maître, depuis 1988, dans l'art de neutraliser et de récupérer « ses » opposants, nous ne pouvons espérer, hélas, trois fois hélas, dans les semaines, voire les mois qui viennent, se réaliser le changement salutaire et indispensable que nous appelons de tous de nos vux à la tête du Polisario.
Nous savons également que nos compatriotes dans les zones occupées sont exposés à de réels et sûrs dangers de la part des autorités marocaines, dangers que nous ne pouvons leur éviter que grâce à une réelle mobilisation de la communauté internationale en leur faveur, mobilisation que le Polisario est certes, du moins dans état actuel, incapable de susciter ou de favoriser [1].
Alors que faire ?
C'est la question que nous voudrions poser à tous (tes) les Sahraouis (es) qui sont convaincus, comme nous [2], qu'il ne faut, malgré la gravité certaine de la situation de nos compatriotes dans les campements de réfugiés et dans les zones occupées de notre pays, ne céder ni au fatalisme ni au découragement, et qui sont persuadés, comme nous, qu'il est plus que jamais temps de secouer violemment le cocotier.
15.11.05
[1] Par honnêteté, je dois cependant nuancer ce jugement et reconnaître, à titre d'exception, que le ministre Mohamed Sidati est en train d'entreprendre, depuis les dernières années, un travail remarquable au niveau de l'Union et du parlement européens, travail dont nous avions pu vérifier l'importance lors de l'Intifada des zones occupées du Sahara Occidental.
[2] On peut me contacter à mon adresse électronique : sayed_baba @hotmail.com