L'Illusion héroïque de la mamlaka marocaine
Le CORCAS face au droit international exigeant la décolonisation intégrale du Sahara Occidental
Ali Omar Yara
Remontons au 11 mai 1967 pour prendre acte de la date d'une proposition de l'Espagne, encore présente dans les territoires sahraouis, en faveur du processus d'autodétermination du Sahara Occidental. Par la création de la « Jemâa », Assemblée générale du Sahara, Franco pensait pouvoir déjà à cette date, répondre à la Communauté internationale qui exigeait l'organisation d'un référendum légal en faveur du peuple sahraoui selon les normes juridiques du système politique moderne. Cette réaction tapageuse de l'Espagne n'était pas motivée par la revendication des nationalistes marocaines sur un segment « perdu du Grand Maroc », comme le pensaient et l'avancent toujours les monarchistes. L'objectif de l'Espagne était, autrement double : d'une part, utiliser la création de la « Jamâa » comme mesure urgente afin de contrecarrer le soulèvement des Sahraouis des années 1960, qui commence à prendre forme à l'intérieur de la colonie, d'autre part, signifier que cette petite colonie peut, d'une manière indirecte, accéder à l'indépendance sans indiquer une date. Ce fut dans cet esprit que cette Assemblée sahraouie a déclaré, néanmoins, dans une lettre adressée à Franco le 20 février 1973 que « seul le peuple sahraoui a le droit de décider de son avenir ». La réponse fut et reste la formation du POLISARIO, 20 mai 1973, pour saper ce projet néocolonialiste à « visage humain ».
Trente ans après, l'occupation des territoires par le Maroc et après son retrait, par contrainte militaire durant la guerre d'anéantissement (1976-1991), des deux tiers des territoires, (Post le second cessez-le-feu &endash; septembre 1991), ne pouvait, suivant ces procédés illégaux que s'appuyer sur le modèle espagnol de la « Jamâa », mais dans un contexte moins favorable, voire irréalisable.
Nous considérons donc que l'institutionnalisation du « Conseil Royal consultatif pour les Affaires Sahariennes » que le Maroc, à travers le discours de Mohammed VI, du 25 mars 2006, souhaite présenter au peuple Sahraoui et à la communauté internationale n'est qu'une extension du procédé espagnol qui n'a pas abouti. Cette « décision impériale » du Maroc a été précédée par une guerre psychologique déclenchée, avec un langage cru dans les ramifications de la « Presse-MAP » contre le mouvement de libération nationale, le Front Polisario, que le Maroc veut gommer à tout prix de la mémoire collective de nos Citoyens sahraouis et, par-delà, l'isoler de la reconnaissance internationale (comme fut le cas de la FLN algérien).
Elle a été précédée par la libération, août 2005 les 404 derniers prisonniers militaires marocains, (sur plus de 2'000 capturés depuis le début de la guerre contre le Maroc) par la crise structurelle des Nations Unis (le glissement de l'application des résolutions juridiques aux jeux élastiques inter-étatiques) et par les rafles et les tortures des militants des territoires occupés et de nos compatriotes du nord (dit le Maroc du Sud).
Mais, si le procédé d'une « autonomie permanente » au sein de cette Mamlaka en gestation depuis 1967 (Franquiste et puis makhzénienne) est de la même nature que d'autres cas historiques (la nation Kurde par exemple), abstraction faite sur leurs contextes spécifiques, elle se présente aussi comme tactique de « Vietnamisation » du Sahara Occidental de moins d'un demi-million de citoyens et d'une richesse inestimable. Ainsi et quand les Etats-Unis, impuissants devant les « Viets », cherchaient à sauver la face et à dissimuler leur défaite politique et militaire (contrairement à ce qu'on enseigne dans des annales des militaristes américains) ; ils procédèrent, après la grande offensive du Têt, à partir du 29 janvier 1968, à la tactique d'opposer les Vietnamiens du Nord à ceux du Sud, ce qui permettrait leur retrait dans « l'honneur » laissant derrière eux un pays ravagé par une agression sans précédent.
La contre-révolution menée par le Maroc entre dans ce cadre avec confusion et régression. Par la mise sur pied du CORCAS le Maroc reproduit la même erreur stratégique. Si, les Américains voulaient se retirer du Vietnam ce qu'ils ont d'ailleurs fait, le Maroc perpétue les prémisses « diviser pour régner » dans le Sahara Occidental historique. Mais, il ne peut échapper aux exigences du droit international, toujours valable dans le cas de la décolonisation du Sahara Occidental, dans lequel les soulèvements à l'intérieur des territoires occupés ont pris une mutation patriotique que le projet du roi ne peut faire reculer.
En effet, les Sahraouis vivant sous occupation du Makhzen et nos Citoyens du Nord (dont les territoires ont été cédés par l'Espagne et la France entre 1956 et 1958), ont dénoncé les méfaits de cette tactique désuète de la mise en place d'une structure réformiste, (à laquelle le parti-martyr l'USFP prend, paradoxalement une large part). Elle est dénuée de toute garantie de droit, de liberté et de progression sociale (primauté des formations tribales, menace de l'idéologie unique islamiste, clientéliste, et primauté de l'allégeance au royalisme).
Il est évident également que cette action marocaine ne peut aboutir qu'à deux avatars : le « statut quo » ou éventuellement à la marche vers une autonomie proprement dite, (facilitée par le cafouillage diplomatique espagnol et encouragé discrètement par la Ve république française) imposée de facto au mépris du droit international, laissant les Sahraouis des territoires libérés à l'écart de toute solution juridique initiale, toute en accusant l'Algérie d'ingérence dans les affaires de la mamlaka et en se lamentant, cyniquement sur le « sort des séquestrés » de Tindouf.
Dans les deux cas, le Maroc ne peut que préparer son repli royaliste vers ses frontières historiques.
Ali Omar Yara, sociologue des conflits, Paris, le 13 avril 2006.