Lemhamid Sidi Bah, journaliste sahraoui indépendant
Un référendum au Sahara Occidental est devenu un mirage. Les mirages, les Sahraouis en ont l'habitude puisqu'ils sont les maîtres du désert. Ils connaissent même les "mirages" français, puisqu'ils les ont combattu dans le ciel de leur territoire, lorsqu'ils intervenaient pour décharger leurs cargaisons mortelles de napalm et de phosphore. Les Sahraouis sont désormais confiants en l'avenir, puisqu'ils se trouvent confrontés à quelque chose qu'ils maîtrisent parfaitement. Un mirage c'est connu chez nous. Tu le vois de loin, tu crois enfin trouver une nappe d'eau, tu cours à sa rencontre desséché par la soif, pour découvrir à la fin, lorsque toutes tes forces t'ont abandonné, que ce n'était qu'un.mirage. La règle d'or consiste donc à ne pas courir derrière les mirages et à chercher autre chose pour se désaltérer.
Cette équation, les Sahraouis l'ont tirée des reports successifs de ce fameux référendum, qui était censé être organisé en 1991, et qui vient d'être reporté pour la ènième fois jusqu'en décembre 1999, si, et seulement si, les deux parties observent "le strict respect des nouvelles échéances ..... et qu'elles coopèrent sans réserves au programme proposé" (rapport du S.G S/1998/997 du 26 Oct 1998 ). Ce report a été la goutte qui a fait déborder le vase. Ici on se sent désormais trompé, pas seulement par le Maroc, ce qui est de bonne guerre, mais par l'O.N.U. La supercherie, les Sahraouis l'ont découverte tardivement, et l'on commence même à s'interroger dans certains milieux politiques, militaires et intellectuels, si l'O.N.U n'a pas été pour quelque chose dans l'arrêt des hostilités, au moment où le Maroc était très affaibli par les opérations militaires victorieuses du POLISARIO à l'époque. En tous cas le constat est là. N'aurait été le cessez-le-feu, on serait déjà indépendant, ou en tous cas dans un stade très avancé de notre lutte, à l'abri des manoeuvres dilatoires qu'entreprend actuellement le Maroc et en ayant en main des avantages de taille, pour négocier en position de force.
Le cessez-le-feu, qui était l'arme de notre existence, le principal atout en main, nous l'avons offert gratuitement. Il a été obtenu grâce à la confiance aveugle qu'avaient les Sahraouis en l'O.N.U, surtout après l'intervention musclée organisée en son nom dans la guerre du Golfe. Notre naïveté à l'époque a-t-elle influencé notre raisonnement, et nous a amené à comparer le Sahara Occidental avec le Koweit ? Avons-nous été poussé par je ne sais quelle force occulte pour commettre cette erreur stratégique monumentale ? En tous cas rien n'est plus comme avant. Cette confiance et cette crédibilité se sont émoussés avec le temps et avec le comportement irresponsable et partial de certains hauts responsables des Nation unies, et pas des moindres, qui se sont compromis avec le Maroc, en exploitant leur fonction dans l'intérêt des thèses marocaines. Les exemples de Perez de Cuellar, de Rizvi et autres fonctionnaires de la MINURSO, sont toujours vivaces dans l'esprit des Sahraouis: Et si la présence onusienne reste encore tolérée dans ce conflit, elle ne tient qu'en la nouvelle confiance - très précaire faut-il le rappeler - placée en Kofi Annan et en son Représentant Personnel James Baker, désormais tributaires des progrès qu'ils auront accompli dans le règlement juste du conflit et des résultats de la prochaine visite de M. Kofi Annan dans la région. Ce dernier report du référendum, et cette abstention de ne pas montrer carrément du doigt la partie qui dresse les obstacles devant son organisation, ainsi que la tentative de vouloir sortir des accords de Houston, ne sont pas de nature à renforcer cette confiance.
La visite du Secrétaire Général des Nations unies dans la région, annoncée juste après la publication de son rapport, est perçue ici comme un moyen pour calmer les nerfs à fleur de peau des réfugiés, et pour leur inoculer un sédatif à même de les tranquilliser un bon moment, en attendant une nouvelle conjoncture régionale ou internationale propice à débloquer la situation. Le résultat des élections présidentielles en Algérie ? L'aboutissement du conflit qui oppose la classe politique marocaine pour la succession du roi ? Le résultats des prospections pétrolières au sud du Maroc ? L'interprétation des photos satellites du Sahara Occidental commandées à grand frais par le H.C.R, pour situer les points d'eau, mais qui peuvent également renseigner sur les réserves pétrolières de toute la région ? Des pressions politiques et économiques sur l'une des parties ? Un alignement clair de l'Administration américaine à côté du Maroc ou du POLISARIO ? Tout est probable.
Officiellement Kofi Annan se rend dans la région pour avoir la réponse sur les propositions en quatre points qu'il a faites aux parties, à savoir : l'identification des tribus contestées, le recours pour les tribus déjà identifiées, le rapatriement des réfugiés, et un calendrier crédible pour les différentes étapes prochaines du Plan de Règlement. Quatre bombes à retardement qu'il sera loin de pouvoir désamorcer séparément, à plus forte raison d'un seul coup, à moins d'un miracle. Quatre obstacles majeurs que le Maroc veut utiliser au moment opportun, alors que nous n'avons même pas encore dépassé le premier: l'identification des électeurs sahraouis habilités à voter, qui a pris plus de huit ans déjà et qui butte encore sur un reliquat de 65.000 requérants marocains censés être Sahraouis selon la logique marocaine. Un corps électoral qu'on veut imposer au POLISARIO et aux Nations unies, les uns pour les gagner à l'usure, les autres pour les décourager et continuer à gaspiller l'argent de la communauté internationale. C'est là la première illusion qui prendra théoriquement cinq autres mois, nécessaires encore pour que les non-habitués découvrent que ce n'était qu'un mirage. Pour les trois restants, gardez vos forces et surtout de la bonne volonté pour galoper après eux, vous qui n'êtes pas initiés aux hallucinations du désert.
Nous restons lucides et éveillés nous autres, habitués que nous sommes à ces étranges phénomènes d'optique, qui ne croyons plus au Père Noël, et surtout nous autres qui vivons sous des tentes depuis un quart de siècle dans le désert algérien. Avons-nous encore assez de patience, et de bonne volonté, pour attendre que la communauté internationale soit convaincue de l'illusion à trouver une solution négociée du conflit à l'heure actuelle ? En tous cas si comme je le pense, M. Kofi Annan vient pour nous tranquilliser, il doit être porteur d'une forte drogue, capable d'endormir tout un peuple, qui croupit dans des abris précaires depuis vingt cinq ans, soumis à un climat de rigueur le plus inhospitalier du monde, immunisé par un traitement de huit années de tranquillisants, prescrit à chaque fois par les spécialistes de l'O.N.U, depuis le cessez-le-feu en 1991. Une hibernation serait à mon avis la seule possibilité, qu'on n'a pas encore expérimentée sur cette espèce humaine réfractaire à toute forme de soumission au roi du Maroc. S'il vient chez nous pour prendre un bain de foule, voir la réalité sur le terrain et déclarer à la presse internationale qui l'accompagne, qu'il est venu dans le but de trouver un compromis entre les deux parties sur un certain nombre de points qui bloquent le processus de paix, que les réponses données par les parties sont encourageantes; et pour annoncer la reprise prochaine de l'identification, bloquée par le Maroc. En ce qui nous concerne ce n'est pas nouveau, et on s'attendait même dans l'enchainement des choses à cela. Mais pour les contribuables comme on dit, ceux-la même qui financent ces opérations de maintien de la paix, la presse internationale sera là, avec ses images superficielles, tirées à la sauvette et diffusées à grande échelle, pour les convaincre que la visite du Secrétaire Général des Nations unies a été un succès, ses résultats satisfaisants, et assez convainquants pour continuer à débloquer les fonds nécessaires pour entretenir les dépenses exorbitantes de la MINURSO et du H.C.R présents sur le terrain. Et c'est l'essentiel. Le reste viendra après.
Pour nous qui n'avons pas besoin d'images satellisées, ni d'ordinateurs sophistiqués pour apprécier la situation, nous avons compris depuis quelques temps que nous courons derrière un mirage. Les élections législatives qui viennent de se dérouler sur l'ensemble des quatre wilayas qui forment les camps des réfugiés, ont été l'occasion pour renouveler le Parlement Sahraoui, mais aussi pour écouter les citoyens s'exprimer sur l'ensemble des sujets qui les préoccupent. Le thème le plus saillant, et qui a caractérisé la quasi totalité des interventions, était le processus de règlement onusien. On reprochait notamment aux dirigeants politiques de continuer à nourrir des espoirs de règlement pacifique du conflit à travers le Plan de Règlement, en l'absence de la volonté politique de la partie adverse. On n'a pas cessé de leur répéter qu'ils sont allés très loin dans les concessions faites au Maroc, comme s'ils étaient acculés au pied du mur. Et le cessez-le-feu a été ressenti comme la plus grande concession offerte à l'ennemi sur un plateau d'argent, et sans contre-partie. Des slogans bellicistes, enfouis depuis l'arrêt des hostilités, reviennent à la surface: "Pas de paix ni de stabilité avant le retour et l'indépendance totale", "La liberté est au bout du fusil", "La guerre de libération est garantie par les masse ", ce sont quelques-uns seulement des slogans enflammés qui n'ont cessé de se répéter au cours des réunions préparatoires des élections législatives.
La direction politique, qui a réussi à contenir le peuple et l'armée jusqu'à présent par l'espoir de trouver une solution négociée, se trouve à court d'arguments. Elle aura intérêt, si elle veut rester en place, de s'aligner sur les revendications du peuple, à moins qu'elle ne veuille hypothéquer sa crédibilité et son avenir politique. Le congrès populaire général a été reporté en juin dernier pour une année. Un autre report n'est plus permis selon le règlement intérieur du POLISARIO. A moins que Kofi Annan n'apporte un miracle, la marge de manoeuvre se rétrécit, les espoirs s'estompent, et le retour à la guerre peut devenir inéluctable.
08 Novembre 1998