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souvenance
Par Mohamed Lamine Ahmed
Ex-Président
du Conseil des Ministres de la RASD 1976 - 1982, 1985-1988
Ex-ministre de l'enseignement
Membre du Secrétariat national du Front POLISARIO
Conseiller à la Présidence
J'ai
toujours évité, durant les décennies
passées, d'écrire ou de commenter des
événements qui peuvent mettre en relief ma propre
personne, considérant que cela peut occulter le processus de
la vaillante lutte que continue de mener le peuple sahraoui,
étant seul habilité à écrire sur ses
sacrifices légendaires.
Et puisque toute règle à une exception, celle qui
vérifie l'axiome, ici, réside dans la demande qui m'a
été adressée par le comité suisse de
soutien au peuple sahraoui de leur livrer un peu de mes souvenances,
sachant - comme témoignage historique - que ce même
comité suisse est la première organisation humanitaire
au niveau européen et mondial à s'être
solidarisée avec le peuple sahraoui. Peut-être que cela
aussi a contribué pour beaucoup à me délier un
peu la langue.
Cependant il y a une réalité incontournable qu'il
conviendrait de prendre en considération. Il y a des choses
qu'on ne peut pas publier à l'heure actuelle, et si la guerre
de libération devait seprolonger davantage, des souvenirs
importants pourraient être ensevelis avec les acteurs qui les
ont élaborés, ou qui ont participé à leur
élaboration. A les livrer maintenant, avant terme, ces acteurs
perdront leur considération d'hommes d'état bien que la
faiblesse est humaine.
En effet, si l'homme d'état révèle seulement 5%
des secrets de l'état ou du mouvement de libération
auxquels il appartient, il aura versé dans l'imprudence, ou
même dans l'irresponsabilité. Encore qu'il serait
malveillant de s'adonner aux récriminations contre ceux dont
les positions étaient louables dans une étape
difficile, et qui, pour des considérations propres, ont
reculé ou révisé leurs positions. Partant de
là, je me trouve obligé de diriger mon choix sur des
événements précis. La mémoire peut me
faire parfois défaut, je demande à mes amis de m'en
excuser. Peut être qu'à l'avenir des temps meilleurs me
permettront de laisser libre cours à ce que j'ai écrit
dans mes mémoires personnelles, sans pour autant verser dans
l'individualisme.
La proclamation de la République sahraouie
Vers la
fin du mois de janvier 1976, et à l'issue d'une réunion
du Comité Exécutif du Front Polisario, son
Secrétaire Général, le Martyr El Ouali Moustapha
Sayed, a été chargé, en compagnie de Brahim
Ghali, membre du Bureau Politique, de se diriger vers les pays du
Sahel, et précisément au Mali, à travers la
route saharienne. Le communiqué sanctionnant cette
réunion stipulait que l'Organisation sera dirigée, en
l'absence de son Secrétaire Général, par Mahfoud
Ali Beiba. Un communiqué qui devait par la suite
inquiéter nos amis libyens qui ont pensé qu'El Ouali
avait été victime d'un complot.
El Ouali et son compagnon étaient arrivés entre temps
à Bamako au cours de la première semaine de
février, après les rudes épreuves d'une route
très difficile, surtout en saison des pluies. Ils
rencontreront l'ancien président malien, Moussa Traoré,
mais seront contraints, faute de moyens financiers, d'arrêter
leur tournée à sa première étape et de
repartir vers la France pour se rendre ensuite en Libye. Les
inquiétudes des amis libyens seront ainsi dissipées par
l'arrivée d'El Ouali chez eux.
Au cours de cette même réunion du Comité
Exécutif, l'idée de la constitution d'un gouvernement
en exil et de sa portée interne et externe avait
été abordée. L'opportunité de cette
initiative, qui viendrait combler le vide juridique que ne manquerait
pas de laisser le retrait de l'Espagne du Sahara Occidental, avait
également été examinée.
Ces événements se déroulent au moment où
la guerre fait rage sur les deux fronts Nord et Sud, et où les
avions marocains déversent leurs cargaisons mortelles de
napalm et de phosphore sur les camps de réfugiés.
Nos deux envoyés reviendront de Libye convaincus de
l'idée de la proclamation de la République et avec ses
statuts provisoires, alors que l'OUA discutait au niveau du Conseil
ministériel de la reconnaissance du Front POLISARIO comme
mouvement de libération. La question sera par la suite
dépassée par la proclamation de la république
sahraouie.
La RASD sera donc proclamée par le Secrétaire
Général du Front POLISARIO et consacrée par un
communiqué du Conseil National provisoire. L'euphorie sera
générale au sein des citoyens et des combattants
sahraouis en dépit des atrocités de la guerre et des
bombardements des camps d'Oum Dreiga et de Tifariti. Cette
proclamation sera largement commentée par les médias de
l'époque. Elle comblera le vide juridique et enterrera pour de
bon la question de la reconnaissance par l'OUA du Front POLISARIO en
tant que mouvement de libération
La constitution du premier gouvernement de la RASD
Réuni
le 28 février 1976, le Comité éxécutif a
examiné la nouvelle situation créée par la
proclamation de la RASD et a décidé, sur proposition du
Secrétaire Général du Front POLISARIO, de
procéder à la constitution du premier gouvernement
sahraoui en exil, auquel sera assigné la mission de promouvoir
la reconnaissance de la jeune république.
La date sera fixée au 4 mars 1976 au niveau national. Le
communiqué annonçant la nouvelle devait être
diffusé simultanément dans trois capitales africaines.
Conakry, puisque le Président Ahmed Sékou Touré
avait été le premier président africain à
avoir reçu une délégation du Front POLISARIO en
novembre 1974. Tripoli puisque le leader libyen était le
premier à soutenir matériellement, moralement et
militairement, la lutte du peuple sahraoui. C'est également de
Libye qu'El Ouali avait rapporté l'idée de la
proclamation de la RASD. Enfin Alger, qui avait affirmé son
soutien historique au peuple sahraoui qui fuyait le
génocide.
Conakry devait par la suite refuser de recevoir notre
délégation, tandis que la Libye et l'Algérie
acceptèrent de répercuter la naissance du premier
gouvernement sahraoui à partir de leur capitales
respectives.
Depuis lors la Guinée Conakry va demeurer jusqu'à nos
jours dans la file des adversaires des Sahraouis.
Je voudrais mentionner, pour l'histoire, que Madagascar fut le
premier pays à reconnaître la RASD. Il sera suivi par le
Burundi et l'Algérie, puis les reconnaissances se
succéderont.
L'intervention française par ses avions "jaguars"
Personne
ne pouvait imaginer qu'une puissance mondiale, membre du Conseil de
Sécurité, pourrait intervenir contre des unités
de guérilla. La France s'est abaissée jusqu'à ce
niveau en utilisant ses avions «Jaguars» contre nos
combattants, en octobre 1977, dans le Sud de la région de
Tiris Zemmour et au Nord de la Mauritanie.
Cette intervention, qui fera prendre à la guerre une nouvelle
tournure, a engendré un grand nombre de victimes, en
majorité des prisonniers de guerre mauritaniens. L'aviation
avait utilisé des bombes au phosphore et d'autres armes
incendiaires.
Les Français avançaient comme prétexte que le
mouvement (Front POLISARIO) était un prolongement du
communisme. Pour l'histoire, j'affirme qu'il n'en est rien et que
nous n'avons jamais reçu de soutien du bloc de l'Est et encore
moins de l'URSS.
Pour étayer ce que j'avance ici je vous livre le contenu de
l'entretien qui s'est déroulé entre le chef de la
délégation sahraouie et la délégation
soviétique en marge de la Conférence du peuple Arabe
à Tripoli en novembre 1977, après la visite du
Président égyptien défunt, Anouar Sadate,
à El Qods.
Le chef de la délégation soviétique a
reproché aux Sahraouis de ne pas avoir fait l'éloge de
ce qu'on appelait dans le temps le bloc socialiste, et le
délégué sahraoui a répondu «nous
remercions ceux qui nous soutiennent, apportez-nous votre soutien et
attendez-vous à nos éloges par la suite».
Dans cette optique je tiens à rappeler que, durant toute notre
guerre de libération contre le Maroc, le Front POLISARIO n'a
jamais reçu un seul fusil, ni une seule cartouche de l'URSS,
et encore moins des pays qui tournaient dans son orbite. Ce bloc
s'est contenté de soutenir la résolution adoptée
annuellement par l'Assemblée Générale des
Nations unies relative au droit du peuple sahraoui à
l'autodétermination.
Evénements divers
Au cours
d'une visite officielle qu'il effectuait au Bénin en septembre
1977, le président du Conseil des Ministres, qui
s'apprêtait à quitter le Bénin vers le Sahara
Occidental, devait modifier ce parcours par une étape
inhabituelle. A onze heure du soir, le Président togolais en
personne était au bout du fil pour lui demander de passer
à Lomé cette même soirée. Une
réception protocolaire eut lieu à l'aéroport,
dirigée par le Ministre togolais de l'information, et
l'hébergement dans une belle villa couronna cette
réception.
Très tôt le matin, le protocole nous communiqua que le
Président Ayadéma nous attendait pour le petit
déjeuner au Palais présidentiel.
Sans détours, Ayadéma nous informa que le
Président français, Valéry Giscard d'Estaing,
lui avait demandé d'intercéder auprès du Front
Polisario pour les six coopérants français
capturés le 1er Mai 1977 à Zouérate, au cours
d'une opération sans précédent qui avait
visé cette ville minière, noeuds névralgique de
l'économie mauritanienne. Six hommes, auxquels viendront
s'ajouter par la suite deux cheminots capturés sur la voie
ferrée qui relie Zouérate au littoral atlantique
à Nouadhibou.
Ayant posé comme condition préalable le secret de nos
contacts, et aucune référence aux médias, nous
serons surpris, dans l'avion qui nous ramenait le jour même
à Alger, par la diffusion de la nouvelle sur les ondes de
Radio France Internationale.
Le speaker annonçait que le Président togolais avait
réaffirmé, après son entretien avec un haut
responsable sahraoui, que les huit français se trouvaient
entre les mains des Sahraouis et se portaient très bien.
Des pourparlers entre la France et le Front POLISARIO seront alors
engagés pour aboutir à la libération de ces huit
personnes en octobre 1977.
En
octobre 1980 une délégation sahraouie, conduite par le
Président du Conseil des Ministres, a participé aux
festivités marquant l'indépendance de la Corée
du Nord. Ayant transité par Moscou, passage obligé des
lignes aériennes, la délégation a
été reçue par le comité Afro-Asiatique de
solidarité. En marge de ces entretiens, la
délégation sahraouie avait demandé une rencontre
avec des responsables du parti communiste soviétique. Ce
dernier nous envoya son responsable des relations extérieures.
Nous lui avons brossé un tableau sombre du calvaire du peuple
sahraoui et exprimé notre consternation devant la position
soviétique.
«Vous prétendez que vous êtes des hommes de
principes, alors que vous n'êtes en réalité que
des gens qui cherchent leur intérêt. Dans le cas
contraire, comment expliquez-vous le contrat du siècle sur le
phosphate que vous avez signé avec le Maroc ? Et que dire de
l'armada de chalutiers soviétiques qui pillent les richesses
halieutiques du Sahara Occidental occupé», avait
attaqué le délégué sahraoui.
Interpellé par ces propos directs, le responsable
soviétique répliquait:
«Vous n'êtes pas communistes, vous êtes plus proches
de l'Occident. En plus, les armes que vous utilisez sont de
fabrication soviétique».
«En tout état de cause, vous êtes une puissance
mondiale et vos armes se retrouvent au Maroc. Avez-vous adopté
la même position avec notre ennemi ? Et vous n'avez pas
répondu à nos questions» avons nous
répliqué.
Sur ces entrefaites l'entretien prendra fin sans résultat.
Je ne me perdrai pas en conjectures pour énumérer les
différentes armes prises à l'armée marocaine, ni
à préciser l'origine de leur fabrication, cependant je
voudrais ici rappeler que 56 chars T55 de fabrication
soviétique figuraient parmi les armes lourdes détruites
par l'Armée de Libération Sahraouie au cours de
l'opération militaire historique de Lebeiratt en
1979.
Mars 1984
Une
délégation américaine de 20 membres, comprenant
des responsables de l'administration, et conduite par le congressman
M. Wolpe, devait rencontrer le Front POLISARIO dans les camps de
réfugiés. La tempête de sable qui se
sévissait ce jour sur Tindouf les a contraints à se
rabattre sur Alger. Ils seront reçus par le Ministre de
l'enseignement de l'époque, qui était de passage
à Alger. L'entretien entre les deux parties, qui s'est
déroulé dans les locaux de l'ambassade sahraouie, a
été marqué par les propos de l'américain
qui affirmait que «le roi du Maroc est un allié des
américains alors que le Front POLISARIO fait partie du
mouvement communiste mondial» (rappelez-vous les propos du
responsable soviétique cité plus haut).
Voyez-vous nous sommes les victimes des grands.
Nous avons alors soutenu que «les Sahraouis n'ont rien contre la
personne du roi, ni contre la royauté au Maroc. Ils se sont
érigés contre l'annexion de leur patrie par la force et
le colonialisme marocain. Ils ne veulent pas de coalition avec qui
que ce soit, parce que cette sorte de dépendance ne va pas
dans le sens de leurs intérêts».
«La Libye vous soutient. Donc nous ne sommes pas à vos
côtés», a alors objecté l'un des membres de
la délégation américaine.
«Et si celle-ci se range aux côté du Maroc ? Quelle
sera la position de l'administration américaine?»,
avons-nous demandé.
«Impossible», a-t-il dit.
«En politique rien n'est impossible» a
répliqué le Ministre sahraoui.
La réunion prendra fin sur une phrase du congressman:
«les USA ne sont pas contre vous, mais nous défendons nos
intérêts».
Là, je voudrais reconnaître que les américain,
malgré la défense de leurs intérêts, ont
le mérite de comprendre leur interlocuteur qui leur dit
«ceci n'est pas dans mon intérêt».
Cette rencontre, qui n'a pas été
médiatisée, a peut-être contribué à
créer un semblant d'espoir pour la compréhension de la
cause sahraouie par les américains, principalement au niveau
du Congrès.
Je m'arrête ici, espérant à l'avenir, si Dieu me prête longue vie, pouvoir éclairer ceux qui s'intéressent à cette étape importante de l'histoire de la lutte du peuple sahraoui.
Traduit
de l'arabe par Lemhamid Sidi Mohamed
Publié dans les "Nouvelles sahraouies", Bulletin du
Comité suisse de soutien au peuple sahraoui, No 99,
février 2001.