Violations des droits humains au Sahara occidental

TEMOIGNAGE DE L'INTERIEUR DES PRISONS MAROCAINES:
Keltoum Ahmed Laâbid (LOUNAT ou EL OUANAT)

Keltoum Ahmed Laâbid (LOUNAT - EL OUANAT) est une jeune sahraouie âgée de 24 ans. Elle a été arrêtée le 10 octobre 1992 à Smara pour avoir participé à des manifestations organisées par la population civile sahraouie exigeant l'application du plan de Paix de l'ONU et la libération des prisonniers et disparus sahraouis. Portée disparue durant plus de 9 mois, elle apparaîtra le 29 juillet 1993 devant un tribunal militaire à Rabat. Au cours d'un procès aussi inéquitable qu'expéditif, elle est condamnée, ainsi que cinq autres jeunes gens à 20 ans de prison ferme.
Son témoignage a été transcrit et traduit d'une bande sonore parvenue à l'AFAPREDESA de l'intérieur de la prison (une caserne militaire à Bensergaoui près d'Agadir) ou la jeune fille continue à être injustement incarcérée. En voici des extraits.

"Chers frère,
Depuis cette longue période nous ne nous sommes pas rencontrés. Maintenant j'ai l'occasion de vous écrire et de vous parler, je vous adresse mes salutations militantes. Si vous saviez la grande amitié et le profond amour que je porte envers vous, qui êtes nos sages guides. Je vous renouvelle mes chaleureuses salutations pleines de considération et de respect. Je vous promets comme je promets aux glorieux martyrs que je resterai fidèle à mon engagement tant que je vivrai. Je poursuivrai, derrière ces barreaux maudits, mon défi jusqu'à ce que je tombe martyre ou que le but que nous nous sommes fixé se réalise.(...)
Le 7 octobre 1992 les autorités marocaines ont procédé à des arrestations. Le lendemain, des centaines de citoyens ont manifesté devant le siège de la Province pour protester contre les agissements si barbares commis par les tortionnaires de Driss Bassri et à leur tête Dkhil Khali (le Gouverneur de Smara). Les manifestants portaient des drapeaux de la RASD et répétaient des slogans dénonçant l'occupation. J'étais parmi les nombreuses femmes qui étaient à la tête de la manifestation, défiant ainsi les forces des mokhaznis et de la police marocaine. Le 9 octobre nous sommes descendus, une fois encore, Dkhil nous demanda de venir à son bureau et de lui faire part de nos demandes. Les principales demandes des femmes étaient: la libération de tous les détenus et la lumière sur les disparitions, dont beaucoup datent de 1976. Il s 'est contenté de répéter des futilités sans répondre à nos revendications légitimes. De plus il m'accusa d'être le leader des manifestations...
Le lendemain nous avons été, mon père et moi convoqués par le Gouveneur. Dans la salle d'attente nous avons trouvé un groupe d'agents de la DST. Ils ont ordonné à mon père de les accompagner. Je suis restée seule. Quelques instants plus tard, un autre groupe d'agents entra et ils m'ordonnèrent de les suivre. J'ai refusé mais je ne savais que faire alors je suis entrée dans le bureau du Gouveneur. Je lui ai demandé " Où est mon père ? " Il a répondu qu'il était parti. Puis il ordonna de m'emmener mais avant qu'ils puissent le faire, je l'ai giflé. C'est ainsi que je fus arrêtée et transférée sur le champ à El Ayoun de façon sauvage et inhumaine, comme si j'étais un animal. J'avais les mains menottées et les yeux bandés. La nuit, on m'a fait subir toutes sortes de tortures physiques et psychologiques que je suis incapable de décrire. Plus j'étais torturée, plus ma détermination s'affirmait et plus je les défiais. Je me rappelais nos glorieux martyrs qui ont sacrifié leur vie pour le bien-être de ce peuple, les femmes et les enfants bombardés par l'aviation marocaine à Oum Dreiga. Au petit matin du 14 octobre, j'ai reconnu avoir conduit les manifestations.(...)
J'ai passé cinq jours au commissariat de la PJ ensuite j'ai été transférée d'une façon barbare au poste de commandement des CMI où étaient détenus d'autres camarades. Dans ce centre secret nous avons passé plus de 1O jours sans couverture et presque sans nourriture (qui se résumait à un morceau de pain et deux verres d'eau quotidiennement). (...)
A Rabat, ou nous a conduits au siège du Ministège de l'Intérieur où nous avons été soumis à un interrogatoire de la part d'agents de la province et de la DST. (...) A l'Etat Major de Salé nous avons été mis en isolement chacun dans une cellule, les yeux bandés et les mains ligotées. Il faisait très froid: nous n'avions presque rien pour nous couvrir et nous étions à deux pas de la mer. L'alimentation n'était pas mauvaise, mais ils nous interdisaient de faire notre toilette. "(...)

Accusés "d'atteinte à la sûreté de l'Etat" , les 6 jeunes sahraouis sont tous condamnés à 20 ans de prison ferme.

" Le 5 novembre 1993 nous entamons une grève de la faim pour protester contre la non réalisation de nos principales revendications, à savoir: la possibilité de poursuivre nos études et les visites des familles. C'est le 22 novembre que nous avons reçu les premières visites des familles. Ce jour-là Bennou est entré à l'hôpital.
Le 25 novembre, le CICR nous a rendu visite. Ses membres ont pris toutes les informations nous concernant. Nous avons également été photographiés et on nous a remis un coupon avec notre numéro CICR. Quand j'ai abordé avec le médecin de la délation les agissements barbares. Ia torture et les viols que j'ai subis ainsi que d'autres femmes sahraouies lors de mon emprisonnement à El Ayoun il s'est contenté de répondre que dans toutes les zones de conflits même les hommes subissent la torture et les viols. quant aux femmes !...
Le 7 décembre Bazid Salek entre à l'hôpital pour un diabète. (...) Le 2 février c'est à mon tour d'entrer à l'hôpital pour hémorragie et inflammation.(...) Le 24 septembre 1994, Bennou et Barricallah ont refusé de rentrer dans leurs cellules pendant 25 jours pour protester contre leur lieu de détention (cellules situées en sous-sol, sans aération). Du 31 octobre au 9 novembre 1994 nous avons procédé à une grève de la faim pour protester contre les conditions de notre détention. Nos principales revendications étaient la possibilité de poursuivre nos études, l'amélioration de la nourriture ainsi que de pouvoir pratiquer du sport et sortir dans la cour... Le CICR qui nous apportait des lettres de nos failles des campements de réfugiés, ne nous en a pas apporté lors de sa visite du 3 décembre 1994, l'un des membres de la délégation a dit avoir eu un entretien avec le Ministre des Droits de l'Homme qui lui aurait dit que nous sommes des prisonniers de droit commun et que nous ne devons avoir aucune relation avec le Front Polisario."
Le 12 décembre on nous confisqua tous les moyens d'information: journaux, radio. Concernant les études, on nous a répondu que les établissements scolaires ont dit que nous étions exclus et que si l'administration voulait nous inscrire elle devrait payer une 1'000 dirhams pour chacun d'entre nous et que vu les circonstances, elle ne peut pas payer cette somme. - Mais le Maroc pille bien chaque jour des centaines de tonnes de phosphates au Sahara Occidental-. Quant aux moyens d'information, il nous a été répondu que sur décision du Palais royal, nous n'avions droit qu'aux médias marocains à savoir Radio Rabat et Midi 1.
Maintenant je vais aborder les conditions in supportables que vivent les détenus dans les cellules et dans les centres secrets tels que le PC CMI (poste de commandement des Compagnies Mobiles d'Intervention) à El Ayoun. Dans ces centres secrets où croupissent les vieux, les jeunes, les enfants et les femmes, ils pratiquent une torture qu'on ne peut pas imaginer. Personne peut croire que de telles monstruosités soient vraies, soient réelles. Nous étions "marqués". Quant on appelait chacun de nous dans son coin, "l'âne no 1?" on devait répondre "c'est moi l'âne no 1" ; "l'âne no 2 ?" "c'est moi l'âne no 2 ", "le chien no 1 ?" "c'est moi le chien no 1"... Les tortionnaires nous ordonnaient souvent de nous déshabiller. à une femme "debout, déshabille-toi et danse!" ; à une autre déshabille-toi et marche à quatre pattes!"; à un homme "déshabille-toi et aboie comme un chien!" . Par la suite ils ordonnaient à un jeune homme d'avoir un rapport sexuel avec une prisonnière. " Fais-lui ce que ton père fait à ta mère". Ainsi que d'autres agissements aussi barbares qu'inhumains.
La femme , à l'intérieur de ces cellules est traîtée avec sauvagerie. Quand elle veut aller aux toilettes, des gardiens la frappent le long du parcours. Ceci sans parler des abus sexuels et la torture psychologique. Les tortionnaires la traitent à leur guise. L'objectif de tels agissements est de rendre l'être humain vulnérable. Ainsi à sa sortie de ces prisons, s'il arrive à en sortir vivant, le détenu est atteint de plusieurs maladies et passe le reste de sa vie entre les hôpitaux. Parfois les prisonniers ne sont relaâchés que pour mourrir quelques jours après leur sortie. Il s'agit d'une vraie guerre psychologique et physique ayant pour but l'anéantissement de notre volonté et nous toucher dans notre dignité pour empêcher la poursuite de notre lutte. Malgré tout cela, notre résistance et notre défi grandissent chaque jour davantage.


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