Mohamed Abdelaziz, président de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) et secrétaire général du Front Polisario, a déclaré récemment dans un entretien exclusif accordé à TRIBUNA (journal d'Albacete), que le gouvernement de la RASD est disposé à coopérer avec les juges espagnols afin de fournir toute l'information nécessaire dans le cadre de la plainte pour génocide déposée en Espagne contre le roi du Maroc Hassan II.
© Luis BONETE PIQUERAS. Rabouni (Algérie).
Mohamed Abdelaziz, président de la RASD et secrétaire général du Front Polisario, a reçu la TRIBUNA dans la salle des audiences de la Présidence située à Rabouni, un bâtiment vétuste, simple mais fonctionnel, relié au monde extérieur par le téléphone et récemment connecté au réseau internet.
L'actuel président de la RASD et secrétaire général du F. Polisario est né à Smara (Sahara Occidental) en 1948, ville dans laquelle il a fait ses études. Il participa à la fondation du Mouvement National qui précéda la préparation de la lutte armée. Membre fondateur du Front Polisario, il fut élu membre du Bureau Politique lors du congrès constitutif, le 10 mai 1973. Il fut responsable d'un des départements de l'organisation politique clandestine du F.P. Mohamed Abdelaziz dirigea une des régions militaires jusqu'à son élection comme secrétaire général du F.P. et président du conseil de commandement de la révolution durant le 3ème congrès populaire en août et septembre 1978. En octobre 1982, au cours du 5ème congrès populaire général, congrès du martyr Bachir Saleh, il fut élu président de la RASD et secrétaire général du F.P. Depuis lors, il a été réélu de façon ininterrompue dans ses fonctions au 6ème, 7ème et 8ème congrès.
Entretien avec Mohamed Abdelaziz
L'entrevue accordée par le président de la RASD à TRIBUNA s'est déroulée intégralement en arabe, avec comme interprète Moh. Ali Ali Salem, du ministère des Affaires étrangères. La récente visite dans les campements du SG de l'ONU Kofi Annan, la réaction du Front Polisario à la politique d'obstruction du Maroc, la possibilité d'une nouvelle médiation de James Baker et des USA dans le conflit, la plainte pour génocide contre Hassan II en Espagne et la publication des listes des votants furent quelques-uns des thèmes abordés avec le président.
La Tribuna.- Quel bilan tirez-vous de la récente visite dans les campements du SG de l'ONU Kofi Annan ?
Mohamed Abdelaziz.- Mon opinion sincère est que ce fut une visite très positive. A sa demande de collaboration avec le plan de paix, nous avons répondu de manière affirmative, dans le sens que nous acceptons de collaborer avec les propositions d'identification des groupes tribaux contestés H-41, H-61 et J-51/52.
LT.- Selon vous, quelle est la situation après le oui du Polisario d'accepter l'dentification des tribus contestées ?
M.A.- A partir de maintenant, il est très clair que le problème se situe entre le Maroc et les Nations unies. De notre côté, nous savond depuis longtemps qu'il en est ainsi; mais la communauté internationale ne le savait pas et donc ne le croyait pas. Aujourd'hui, il est clair pour tous que c'est la partie marocaine qui freine le plan de paix.
LT.- Dans la situation actuelle, que peut-il arriver ?
M.A.- Il est indéniable que nous nous trouvons à un carrefour. Soit le Maroc prend la question au sérieux, respecte les résolutions de l'ONU et s'engage vers la paix, ce qu'en définitive la partie sahraouie désire, ou au contraire il prend la décision de poursuivre le blocage de ce processus. Les deux options sont favorables pour le peuple sahraoui, par le simple fait que le Maroc s'expose à la réprobation de la communauté internationale.
LT.- Quelle lecture pouvons-nous faire des obstructions du Maroc au plan de paix ?
M.A.- Une seule lecture. Hassan II sait que si un référendum honnête et transparent a lieu, le peuple sahraoui optera à 100% pour l'indépendance.
LT.- Si on entre dans la période transitoire avec la même volonté de blocage de la part du Maroc, quelle réaction pourrait-on attendre du Front Polisario ?
M.A.- Si le Maroc bloque de nouveau le plan de paix, nous demanderons de façon officielle devant l'assemblée générale des Nations unies la reconnaissance de la RASD. D'un autre côté, nous engagerons une offensive diplomatique pour que d'autres pays nous reconnaissent officiellement. Nous intensifierons également la lutte contre l'occupation marocaine de notre terre. Nous demanderons de même à la communauté internationale qu'elle fasse pression sur le Maroc, en demandant par exemple que cesse le pillage des richesses sahraouies, tout en exerçant en même temps des pressions économiques et politiques.
LT.- M.le Président, que peut-on attendre d'une nouvelle médiation de James Baker et par conséquent de l'appui des USA au plan de paix ?
M.A.- Le SG nous a confirmé que James Baker va poursuivre ses efforts pour que le plan de paix soit appliqué et que le référendum ait lieu. En ce qui concerne le gouvernement nord-américain, nous constatons que l'administration US est intéressée à une solution réelle et sérieuse du conflit, solution qui passe par le respect des droits du peuple sahraoui; elle montre sans aucun doute un intérêt croissant. Les Etats Unis apportent un soutien très important à l'ONU et à la MINURSO au Sahara Occidental, afin que le référendum puisse avoir lieu.
LT.- Pensez-vous que le nouveau parlement sahraoui devra décider d'un retour aux armes si le Maroc choisit de boycotter toute solution adoptée par la communauté internationale ?
M.A. - Il est plus que probable que le parlement sahraoui présente une motion dans ce sens. Si, finalement, cette motion se transforme en décision ferme du parlement, le gouvernement sahraoui en tiendra non seulement compte, mais le secrétariat général du Front Polisario l'appliquera sans hésitation.
LT. Quelle va être l'attitude du gouvernement sahraoui face à la plainte pour génocide déposée en Espagne contre le roi du Maroc Hassan II et le ministre de l'Intérieur Driss Basri ?
M.A.- J'ai suivi et nous suivons de très près tout ce qui concerne la plainte pour génocide déposée contre Hassan II en Espagne. Le gouvernement sahraoui pense que la tentative marocaine d'exterminer notre peuple par différents moyens que vous connaissez tous, ne peut rester impunie. Au moment opportun, la RASD collaborera pleinement avec la justice espagnole, en lui fournissant l'information, en comparaissant et en transmettant toute la documentation nécessaire pour que la tentative de génocide du peuple sahraoui ne reste pas sans châtiment.
L.T.- Les deux parties disposent déjà de la liste des votants pour le référendum. Quelle est votre opinion sur le fait que le Maroc s'oppose à ce que ces listes soient rendues publiques ?
M.A.- L'ONU a présenté aux deux parties, le 1er décembre de cette année, le nombre de personnes acceptées pour voter, c'est-à-dire le corps électoral. D'un total de plus de 147'000 demandes présentées dans les bureaux de la MINURSO, celle-ci en a rejeté plus de 60'000. L'opposition du Maroc à la publication des listes n'a pour nous qu'une lecture: sa persévérance politique à falsifier et fabriquer des votants soit-disant sahraouis a complètement échoué, elle n'a eu aucun succès.
LT.- M. le Président, croyez-vous sincèrement qu'une solution pacifique du conflit du Sahara Occidental soit possible tant qu'Hassan II sera encore en vie ?
M.A. - Ce dont je suis absolument sûr, c'est que Hassan II reste la figure clef de la politique marocaine. Nous sommes également sûrs que la guerre du Sahara Occidental est un problème personnel de Hassan II, et non le problème du peuple marocain ni des forces politiques marocaines. Quand Hassan a envahi le Sahara, il n'a consulté personne, ni le peuple marocain ni les forces politiques. Il faut savoir que Hassan II a toujours déclaré dans ses discours, que la personne qui dirait que le Sahara Occidental n'appartient pas au Maroc irait immédiatement en prison; beaucoup ont vécu jusqu'à 17 ans en prison, seulement pour n'avoir pas admis le point de vue de Hassan sur le Sahara. Pour la même raison, il existe plus de 500 disparus politiques sahraouis. Nous sommes certains que si aujourd'hui Hassan II annonçait au peuple marocain qu'il va mettre fin à l'occupation du Sahara et qu'il va utiliser les dépenses de guerre pour le développement de son pays afin de résoudre le problème du chômage et du retard économique, nous sommes convaincus que le peuple marocain approuverait cette décision. La guerre de 1963 avec l'Algérie fut une guerre de Hassan II contre le peuple algérien, non du peuple marocain contre l'Algérie; c'est pourquoi je peux ajouter que quand le Maroc a reconnu les frontières de l'Algérie, il n'y a eu aucune réaction défavorable de la part du peuple marocain. Ainsi la guerre du Sahara Occidental est une guerre exclusive du roi du Maroc contre la RASD. Hassan, en envahissant le Sahara, a réussi à créer des menaces imaginaires sur l'intégrité territoriale du Maroc, qui n'existent pas dans la réalité, afin d'asseoir les fondements de son propre régime. Cette guerre lui a aussi permis de consolider son régime et, en passant, d'éliminer quelques opposants.
L.T.- Quelle est votre opinion sur le travail et la présence de la MINURSO dans le territoire ?
M.A.- A défaut d'un rôle que la MINURSO aurait dû jouer - et qu'elle n'a pas joué - comme celui de défendre les citoyens sahraouis dans les zones occupées ou de contrôler le flux des entrées de population par la frontière nord du Sahara avec le Maroc, à défaut de contrôler le blocage du processus d'identification, à défaut de tout cela, la présence ou la réduction de la MINURSO au Sahara n'a pour nous aucune importance. Si la MINURSO ne profite pas du cessez-le-feu , si elle ne profite pas de sa propre présence et ne donne pas un contenu politique au processus de blocage de l'identification, si elle ne fait pas pression sur le Maroc pour une solution pacifique, je crois que sa présence dans la zone n'est qu'un gaspillage et une perte inutile de temps et de moyens.
LT.- Pour terminer, que diriez-vous aux plus de 6'000 familles espagnoles qui durant l'été 1997 ont accueilli dans leurs foyers pendant les vacances des milliers d'enfants sahraouis ?
M.A. - Nous savons très bien que beaucoup, parmi ces milliers de familles qui ont accueilli nos enfants, se trouvent dans des situations graves comme le chômage, d'autres sont des paysans, des ouvriers, des gens jeunes et d'autres âgés qui ont cessé de travailler. C'est pourquoi ce noble geste de solidarité pour tenter de faire oublier pour un temps l'exil et la guerre à nos enfants..., est un geste auquel nous attachons une grande valeur et que nous n'allons jamais oublier. Finalement, je voudrais relever deux points: premièrement, ce geste donne de l'espoir à des enfants qui furent condamnés à mort par l'expansionnisme marocain qui les a privés d'une vie digne et normale; et deuxièmement, les familles espagnoles participent à la tentative d'effacer l'énorme trahison du peuple sahraoui de la part d'un gouvernement d'Espagne il y a plus de 20 ans.
[Publié dans LA TRIBUNA de Albacete]