OPINION

 

Le 12 octobre 1975, journée de l'unité nationale.

Salah Khatri

 

Bientôt nous allons fêter le 30ème anniversaire de la journée de l'unité nationale. Lors de cette journée, tous les représentants de la société sahraouie se sont réunis à la même table pour dire oui au Front Polisario comme seul représentant du peuple. Ils ont reconnu la lutte armée comme étant le seul moyen pour accéder à l'indépendance, ont banni le tribalisme en le qualifiant de crime national et défini l'égalité comme principe social. Ce qui a abouti à l'annonce de la République Arabe Sahraouie Démocratique (R.A.S.D). En même temps le peuple sahraoui se retirait vers la frontière algérienne à cause des bombardements et l'invasion de notre terre par l'armée royale marocaines et l'armée mauritanienne.

Tous les campements de réfugiés du peuple sahraoui ont vécu alors sur le rythme de la guerre. La société était divisée en trois parties : Les hommes à la guerre, les femmes à la direction des campements et les enfants dans les internats à l'étranger ou dans les campements. Personne ne se posait de questions, tous étant portés par l'intérêt général. Parents, enfants, femmes, hommes, nous avons mis de côté nos soucis individuels, nos préoccupations pour une seule chose : conquérir l'indépendance et construire l'état sahraoui. Toutes nos forces étaient concentrées sur cela et sur rien d'autre. Nous mangions les mêmes choses, portions les mêmes habits, les hommes fumaient le même tabac, personne n'était payé pour travailler, l'état prenait tout en charge, y compris le tabac. Nous avions une confiance totale en nos dirigeants et étions prêts à tout pour notre état.

Jusqu'à l'évènement d'octobre 1988. Ce jour là, la société s'est divisée en deux. Nous étions pris dans un piège sans comprendre ce qui s'était passé et pourquoi nous en arrivions là. Les questions se sont enchaînées sans qu'elles trouvent de réponses. Nous avons commencé à découvrir des réalités qu'on ne voulait pas regarder en face. Des réalités dures à supporter, inimaginables : les prisons dans les campements, l'abus de confiance, la plupart de nos dirigeants vivant comme des pachas et le système politique du Front Polisario était : 25 personnes au sein du bureau politique 7 personnes au sein du comité exécutif.
Le gouvernement de l'état était composé à 99% des gens du bureau politique avec un premier ministre du comité exécutif. Il est devenu à partir de 1989, à la suite du 7ème congrès, un comité national de 70 personnes et un gouvernement. Dans ce comité, toutes les tribus et les fractions étaient représentées comme les personnes de l'ancien Bureau Politique qui avaient déclenché l'évènement de 1988 contre le précédent comité exécutif.

Comment les responsables des évènements de 1988, considérés comme des traîtres par le pouvoir se retrouvaient finalement au secrétariat national ? Et pourquoi cet élargissement ?

Au congrès suivant le nombre des représentants de secrétariat national diminue. Au congrès suivant, il diminue encore. Au dernier congrès, il est passé à 25 personnes. On s'y perd d'ailleurs dans ce système où l'on ne sait plus qui est dans le secrétariat national et qui ne l'est pas, et pour quoi ils ont là ? vu que depuis trente ans c'est un jeu de chaise musicale, les postes s'échangent de ministre à poste au gouvernement, à la diplomatie ou à l'intérieur.

Après le cesser le feu, la société a commencé à vivre sur un rythme différent. Le peuple a commencé à se poser des questions, le pouvoir n'a pas tenté d'y donner des réponses. Le peuple s'est trouvé face à des dirigeants aux yeux fermés et aux oreilles sourdes.

En 1992, l'affrontement entre les jeunes étudiants et les représentants du Front Polisario dans les campements de Smara a révélé beaucoup de choses. Lors de cet affrontement, les jeunes Sahraouis voulaient juste restaurer les règles de la transparence pour contrôler la contrebande et le trafic de l'aide humanitaire. La plupart des dirigeants étaient concernés par ce trafic.
Les jeunes n'ont pas eu de réponses, mais ils ont été accusés de volonté de « déstabiliser du pouvoir».
D'ailleurs c'est les jeunes qui sont régulièrement la cause du malaise de ce pouvoir. La plupart des prisonniers Sahraouis découverts dans les campements étaient aussi des jeunes venus de la France, de l'Espagne, Mauritanie pour rejoindre la révolution entre 1979 et 1982. La plupart se sont retrouvés en prison, accusés par le pouvoir de « tentative de déstabilisation de la révolution ».

A partir de 1992, on a commencé à aller vers une société à deux vitesses avec la circulation de l'argent, l'augmentation de la pauvreté et de la famine. L'aide humanitaire ne suffit plus à cause de l'enrichissement du bureau de la guerre. La circulation de l'argent a commencé avec l'acceptation par le Front Polisario du paiement par l'Espagne d'une retraite pour les retraités militaires.

D'où est venu l'argent qui a enrichie le bureau ? Ces gens qui hier étaient comme nous s'appellent aujourd'hui « les riches de la guerre ».

Nous avons commencé à découvrir que le tribalisme était devenu une arme du pouvoir pour se protéger. L'égalité n'était qu'un mensonge.

La période de « ni paix, ni guerre » a démontré que le pouvoir du Front Polisario était incapable d'apporter des réponses aux nouvelles questions que se posaient la société, incapable de proposer une politique sociale et culturelle et une ligne nationale dans une période d'attente, incapable de faire des choix face aux jeux du royaume marocain sur cette situation. Ils ont ainsi montré leurs limites intellectuelles.

Nous commençons à découvrir l'incapacité de la gestion de l'état et que tout se développe autour d'intérêts personnels. Les institutions de l'état se sont transformées sur un partage tribal.

Le pouvoir essaye de mêler tout le monde à l'utilisation de l'aide humanitaire pour son profit personnel pour qu'ainsi personne ne soit capable de montrer un autre du doigt.
Alors, pour calmer les cris des uns et des autres, ils ont inventé l'assemblée nationale et les élections des maires et des élus locaux.
Ce souffle vers la démocratie, ce n'était pas un choix des dirigeants du front Polisario, mais une obligation face au mécontentement du peuple. Il était évident qu'il n'y avait pas de règle démocratique.
L'assemblée reste contrôlée par le pouvoir, elle ne peut rien changer.
Les élus locaux et les maires n'ont aucun pouvoir. Tout ce qui règne dans l'atmosphère pour se protéger individuellement, c'est le tribalisme. L'état Sahraoui n'a pas de tête pour le diriger. Les personnes qui sont au pouvoir font tout pour le garder.

Où sont donc aujourd'hui les valeurs de l'unité nationale édictée il y a trente ans ? Où est l'unité nationale ?

19.09.05


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