OPINION

 

Le piège de l'humanitaire

Carlos Ruiz Miguel
Professeur de Droit Constitutionnel de l'Université de Saint-Jacques de Compostelle (Espagne)

Martine de Froberville
Président du Comité sur le Sahara Occidental (France)

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Vient d'être rendu publique une lettre sous la signature de Madame Danielle Mitterrand, présidente de France libertés, adressée " à l'attention de Monsieur Mohamed Abdelaziz, président de la République arabe sahraouie démocratique " à l'occasion du 30ème anniversaire du Front Polisario. Outre les vœux exprimés en faveur du droit à l'autodétermination du peuple sahraoui, d'une "amie du peuple sahraoui ", comme se déclare elle-même Mme Mitterrand, il s'agit d'un appel à la libération des 1 157 prisonniers de guerre marocains. " Pour des raisons humanitaires évidentes, je vous demande une nouvelle fois de libérer sans délai tous les prisonniers de guerre marocains ", lit-on.

Cette lettre appelle une réaction ouverte, des commentaires et des réserves.

Avant toute chose, il convient d'élucider la qualification de " militaires et civils " attachée aux prisonniers de guerre marocains, qui sème la confusion. Les appelés (par distinction avec les militaires de carrière), qu'ils aient été mobilisés par conscription ou, en l'occurrence, embrigadés de force, sont des soldats dès leur réquisition. Ils se différencient donc des civils qui subissent les affres de la guerre sans pouvoir la plupart du temps se défendre.

Etre partisan que soit mis un terme à la détention des prisonniers de guerre dans la question du Sahara Occidental est une affaire de cœur et de conscience à l'honneur de ceux (ils sont nombreux) qui placent l'humanité au rang de leurs principes.

Souhaiter la libération des prisonniers marocains est une conviction légitime qui résulte de la liberté de pensée.

Transmettre son sentiment au président sahraoui découle de la liberté d'opinion. Mais rendre public un tel avis au moment où une campagne sur un sujet aussi sensible est orchestrée par le Maroc et ses soutiens pour faire pression sur les Sahraouis, c'est tomber dans le piège tendu. Qu'on le veuille ou non, c'est contribuer à la déstabilisation de ces derniers, recherchée par ses auteurs.

Le droit humanitaire ne peut être sélectif. Aussi, s'attendrait-on en un tel cas à ce que toute personne soucieuse de l'application de ce droit, en toute équité publie simultanément une semblable adresse " à l'attention de S.M Mohamed VI du Maroc ". Les prisonniers de guerre ne demeurent-ils pas détenus dans les deux camps belligérants depuis la même période ? La " détresse morale " est la même chez tous ces prisonniers. A celle de ces hommes, du côté sahraoui, faut-il le rappeler ?, s'ajoute celle de tout un peuple qui pourtant " fort de la légitimité que confère le droit international " continue de souffrir de l'exil ou de l'occupation après 16 années de guerre ouverte. Les responsables de cette situation sont les autorités marocaines depuis leur coup de force de 1975.

Le droit humanitaire s'inscrit dans le droit international qui lui est supérieur. L'application de l'un procède de la mise en œuvre de l'autre. Et non le contraire. Exiger de la victime le respect du droit humanitaire quand le droit international a été violé et continue à l'être par l'agresseur, c'est inverser la donne. Ça n'est plus une erreur, mais une faute politique.

2 juin 2003

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El humanitarismo trampa

 

Carlos Ruiz Miguel
Catedrático de derecho constitucional de la Universidad de Santiago de Compostela (España)

Martine de Froberville
Presidente del Comité sobre Sáhara Occidental (Francia)

 

Acaba de publicarse una carta bajo la firma de la señora Danielle Mitterrand, presidente de France libertés, mandada " a la atención del señor Mohamed Abdelaziz, presidente de la República árabe saharaui democrática " con ocasión del trigésimo aniversario del Frente Polisario. Aparte de los deseos expresados a favor del derecho a la autodeterminación del pueblo saharaui, de una " amiga del pueblo saharaui ", como se titula ella misma la Sra Mitterrand, se trata de un llamamiento para la liberación de los 1 157 prisioneros marroquíes. " Por motivos humanitarios evidentes, le ruego a Vd una vez más que libere sin retraso a todos los prisioneros marroquíes ", se lee.

Tal carta exige una reacción abierta, unos comentarios y reservas. Antes de todo, conviene dilucidar la calificación de " militares y civiles " relativa a los prisioneros marroquíes, que genera confusión. Los llamados (por distincción con los militares de carrera) que sean mobilizados por quinta o, en tal caso, reclutados a la fuerza, son unos soldados al momento de su requerimiento. Se diferencian, por lo tanto, de los civiles que sufren los horrores de la guerra sin poder lo más frecuentemente defenderse.

Ser partidario de que se ponga un término a la detención de los prisioneros en la cuestión de Sahara Occidental es un asunto de corazón y consciencia que honra a los (numerosos son) que ponen la humanidad entre sus principios.

Desear la liberación de los prisioneros marroquíes es una convicción legítima que resulta de la libertad de pensar.

Dar su sentimiento al presidente saharaui pertenece a la libertad de opinión.

Pero hacer público tal parecer cuando una campaña sobre un asunto tan sensible se orquestra por Marruecos y sus apoyos para presionar a los Saharauis, es caer en la trampa tendida. Que se quiera o no, es contribuir a la destabilización de estos últimos, buscada por sus autores.

El derecho humanitario no puede ser selectivo. Por lo tanto se podría esperar en tal caso que toda persona que anhela la aplicación de este derecho, en toda equidad publique simultáneamente semejante mensaje " a la atencion de S.M. Mohamed VI de Marruecos ". ¿No quedan los prisioneros detenidos en los dos campos beligerantes desde el mismo período ? La " angustia moral " es la misma entre todos estos prisioneros. A la de estos hombres, entre los Saharauis ¿es necesario recordarlo ? se añade la de todo un pueblo que sin embargo " fuerte de la legitimidad que confiere el derecho internacional " sigue sufriendo del exilio ou de la ocupación después de 16 años de guerra abierta. Los responsables de esta situación son las autoridades marroquíes desde su agresión de 1975.

El derecho humanitario se inscribe en el marco del derecho internacional que lo supera. La aplicación del uno procede de la del otro. Y no lo contrario. Exigir de la víctima el respeto del derecho humanitario cuando el derecho internacional fue violado y sigue siéndolo por su agresor, es intervertir los papeles. Ya no es un error, sino una falta política.

2 de junio de 2003


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