OPINION

 

Les jours du Front Polisario sont-ils désormais comptés ?

Baba M. Sayed

 

La question peut paraître superflue, saugrenue, voire impertinente. Il n'en est pourtant rien. Les délibérations des membres du Conseil de sécurité, dans le cadre des consultations qu'ils ont eus au cours des derniers jours sur le rapport que le secrétaire général des Nations unies vient de leur présenter sur la question du Sahara Occidental, et la résolution qui s'en est suivie montrent, bel et bien, que si l'existence du F. Polisario n'est pas (encore) définitivement scellée, la possibilité de le voir disparaître n'est plus, dorénavant, pour les puissants du monde, une simple hypothèse farfelue ou insensée.

Rappelons les faits.

Le secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan occupé à préparer sa retraite qui devrait intervenir dans quelques mois et qui, certainement, ne désespère de recevoir du Maroc ou de la France (ou des deux à la fois) des « titres » de gloire comme ceux dont ont été gratifiés ses prédécesseurs dans la fonction (Pérez de Cuellar et Boutros, Boutros Ghali), a proposé dans le rapport qu'il vient de soumettre aux membres du Conseil de sécurité (Voir chez Arso) une nouvelle approche pour résoudre le conflit du Sahara Occidental. Dans son nouveau rapport Kofi Annan invite les membres du Conseil de sécurité à ne plus considérer la question du Sahara Occidental comme un problème de décolonisation à parachever mais plutôt comme un « banal » problème « géopolitique » qui doit trouver son traitement dans le cadre de marchandages pacifiques entre le Maroc qui a l'avantage d'occuper une grande partie du territoire et les autres composantes de la région de l'Afrique du Nord qui le lui disputent (y compris le Polisario).

Mettant en avant un important argument auquel le Conseil de sécurité ne peut se montrer insensible, à savoir l'absence de progrès dans la recherche de solution au problème, Kofi Annan en a usé et abusé pour faire avaler au club des puissants sa nouvelle recette : pour hâter (sic) le dénouement de cette complexe et épineuse question, il n'y a qu'une seule possibilité et elle consiste en ce que le Conseil de sécurité abandonne sur la question du Sahara Occidental l'approche traditionnelle que les Nations unies ont préconisée depuis 1965. Il faut désormais, laisse entendre Annan, que les membres du Conseil considèrent le conflit sahraoui comme un simple différent entre certains pays de l'Afrique du Nord et que ces derniers doivent, avec les encouragements de la communauté internationale, s'atteller à l'urgente tâche de lui trouver, à l'amiable, une solution au mieux de leurs intérêts.

D'une question de décolonisation dont les seuls protagonistes clairement identifiés (le F.Polisario, représentant unique et légitime du peuple du Sahara Occidental et la puissance occupante, le Royaume du Maroc) Kofi Annan plaide pour qu'elle ne soit, désormais, considérée que comme une « banale dispute » entre des pays maghrébins qui doivent lui trouver, dans le cadre d'une entente mutuellement avantageuse la solution que la Realpolitik appelle.

Le Front Polisario qui n'a pas, apparemment, bien pris toute la mesure, dans un premier temps, de la gravité de la menace qui la vise a essayé, comme à son habitude, de temporiser et de ruser avec la réalité, en usant d'un langage plus que mesuré à l'égard de Kofi Annan. Tout en félicitant le secrétaire général d'avoir identifié et diagnostiqué, de manière juste, les problèmes posés, il a constaté, avec regrets, que les solutions préconisées par ce dernier ne soient pas exactement ce qu'il aurait espéré ou souhaité. Il a fallu quarante huit heures de réflexion supplémentaire à ses dirigeants pour abandonner leurs précautions langagières et reconnaître que le rapport du secrétaire général des Nations unies, dans son intégralité, n'était qu'un « complot » destiné à priver le peuple sahraoui de ses droits.

La suite on la connaît. L'alerte a été chaude et le spectacle désolant et pitoyable de voir le Polisario pousser au peloton d'exécution et sacrifié au grand jour sur l'autel de la « Realpolitik annanienne » n'a été, faut-il y insister, évitée de justesse que grâce à l'intervention rapide, vigoureuse et déterminée de l'Algérie. Une Algérie qui, en rappelant avec force, par la voix de ses représentants officiels, son ferme attachement, comme par le passé, au respect du droit inaliénable à l'autodétermination du peuple sahraoui a affirmé solennellement qu'elle ne saurait, en aucun cas, accepter de se substituer à ce dernier dans le choix de son devenir ou laisser d'autres s'y substituer. L'Algérie a par ses voix les plus autorisées proclamé son refus catégorique de cautionner la nouvelle « dérive » préconisée par le secrétaire général des Nations unies, dérive, qui, estime-t-elle ne pourrait, dans la pratique, qu'engendrer de graves et incalculables conséquences pour l'ensemble de la région du Maghreb et l'exposer à des dangers de déstabilisation certains.

Comme on le constate, le message que l'Algérie a voulu envoyer à la communauté internationale est, comme d'habitude, clair et ferme et le langage pour le transmettre ne prête à aucune ambiguïté.

Malheureusement l'avertissement algérien n'a été, cependant, qu'en partie entendu par les membres du Conseil de sécurité qui se sont contentés, comme en pareilles circonstances, de couper la poire en deux. Ce qui ne pourrait que compliquer un peu plus, à l'avenir, la recherche de cette solution juste et durable que les uns et les autres disent appeler de leurs voeux. En n'assignant à la Mission des Nations pour un référendum au Sahara Occidental (MINURSO) d'autre objectif que celui de préserver le cessez-le-feu, les membres du Conseil de sécurité ont d'ores et déjà montré le peu de volonté et d'intérêt qu'ils accordent à l'éventualité de voir le peuple sahraoui jouir de ses imprescriples droits à la liberté. Par ailleurs , le fait d'insister à l'avance sur la nature de la solution à trouver au conflit et qui, selon les termes mêmes emplyés par le conseil, ne pourrait être que "négociée et mutuellement acceptable" n'est-elle pas une façon, certes élégante, mais tout aussi... du conflit ?

Comme on le voit, le danger de voir l'existence du F. Polisario -au terme des prochains six mois, date de la prochaine réunion que le Conseil de sécurité consacrera au conflit- sérieusement menacée n'est qu'en partie évitée. Car tout laisse supposer que le Royaume du Maroc (soutenu par la France) ne va pas lésiner -au cours des prochains mois qui nous séparent du prochain rendez-vous du Conseil de sécurité- sur les moyens pour discréditer l'option référendaire et la rendre « inopérante » tout en tentant d'y substituer le projet d'autonomie.

Quand on sait, par ailleurs, que les États-Unis par la voix de leur représentant permanent auprès des Nations unies font tout pour empêcher le mouvement sahraoui de recourir, dans la perspective d'amener le Maroc à honorer ses engagements, à la reprise de la guerre et que le Conseil de sécurité a ignoré les appels pathétiques qui lui sont adressés par les populations civiles et désarmées des zones occupées du Sahara Occidental d'élargir les prérogatives de la MINURSO pour y inclure leur protection, l'on peut que se rendre compte de l'ampleur du drame que le peuple sahraoui est appelé à vivre dans les prochains mois.

Dès lors il apparaît clair, sauf à se payer de mots, que la dernière résolution du conseil de sécurité sur la question du Sahara Occidental loin de constituer une quelconque victoire pour le peuple sahraoui ou une possibilité de fermer définitivement les portes devant de probables « dérives » ou dévoiements du processus de décolonisation de l'ex colonie espagnole, n'est et ne doit être considérée que comme un court sursis. Un de plus.

En conséquence le F.Polisario est sommé dorénavant de choisir clairement entre la possibilité d'exister réellement et celle de disparaître définitivement.

Si celle de disparaître ne requiert de lui que de continuer d'appliquer imperturbablement la politique de l'Autriche qui a été, depuis les vingt dernières années, la sienne, celle d'une réelle existence qui la mettrait en position de déjouer les plans et manœuvres du régime marocain passerait obligatoirement par une nécessaire renaissance dont les conditions de possibilité exige de lui et de sa direction d'innombrables, multiples et difficiles efforts sur beaucoup de plans et à différents niveaux.

Et le premier et le plus important de ces efforts exigés est sans conteste de revoir ses contestables manières de gérer sur le plan intérieur et international le conflit avec le Royaune du Maroc, de réformer et démocratiser ses vieillissantes et archaïques structures afin de leur insuffler une nouvelle vie, leur redonner de nouvelles et réelles crédibilité et assise et y impliquer le plus grand nombre de sahraouis possible…

02.01.06


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