OPINION

 

Le Makhzen, ou le système de servitude volontaire (III)

(suite et fin)

Par Baba M. Sayed

Nous avons montré, dans le précédent article, l'important rôle que joue la France dans la protection et le maintien de la Monarchie anachronique marocaine, et souligné les raisons qui nous paraissaient, plus que toutes autres, expliquer et justifier la solide et stratégique alliance, en apparence absurde et étrange, entre la Patrie des droits de l'homme et celle des rois- soleils alaouites [1]. Il nous reste à montrer, dans la présente tribune, que cette politique du « pire » conduite, de manière constante, depuis 1962, et pleinement assumée, sans états d'âme, par les majorités aussi bien de droite que celles de gauche, qui se sont succédées, au cours des dernières décennies, à la tête de l'État français s'est avérée tout à fait contreproductive. Si cette politique a été, jusqu'ici, vaine et inutile pour la République française, elle pourrait, à l'avenir, si elle est maintenue, être hautement préjudiciable à son avenir. Elle pourrait, à suivre l'analyse de certains observateurs, sinon sonner le glas, à moyen et à long terme, de la présence française dans le Maghreb, du moins contribuer sensiblement à l'affaiblir.

Plutôt que d'ébranler la détermination et la fierté des Algériens (-nes) à défendre l'indépendance et la souveraineté de leur pays, la politique d'acharnement contre l'Algérie [2] a, à plus d'un titre, desservi la France et ses intérêts.

En braquant, par leurs comportement arrogants et, en règle générale, peu diplomatiques les Algériens, en opposant, constamment et systématiquement, à leur souci sincère de normaliser leurs rapports avec leur pays, la fâcheuse tendance de vouloir constamment les piéger et les berner, les décideurs français, de gauche comme ceux de droite, ont fini par s'aliéner, pour des générations à venir, semble-t-il, l'Algérie et son peuple.

En s'opposant résolument, dans le cadre du conseil de sécurité, à une solution juste et équitable de la question du Sahara Occidental, en confortant le Maroc dans sa politique d'intransigeance et de rébellion contre la communauté internationale, la France, loin de rendre service à la Monarchie, ne fait, concrètement, que l'inciter à s'aliéner son peuple, et grever ses maigres ressources dans une guerre coloniale aussi inutile qu'anachronique [3] . Ce qui ne pourrait, à moyen terme, dans un contexte intérieur et international peu favorable à la monarchie [4], que miner celle-ci, la fragiliser, voire provoquer rapidement sa chute. Plus grave, en prenant fermement le parti du Maroc dans le sensible conflit du Sahara Occidental contre le Polisario, la France ne fait, dans les faits, que favoriser, à son corps défendant, l'implantation américaine dans la région aux dépens et au détriment de ses propres intérêts. S'étant d'elle-même volontairement condamnée, par son parti pris en faveur de la monarchie marocaine dans le conflit, à ne pouvoir être d'aucune utilité dans la facilitation de sa solution possible, elle a du coup contraint et forcé le Polisario, l'Algérie et même le Maroc à se tourner vers les Etats-Unis d'Amérique en espérant qu'ils daignent, un jour, accepter une possible médiation entre eux pour le résoudre. Refusant fermement de s'engager dans les « querelles » des Maghrébins ou de prendre le parti des uns contre les autres, les « Amerloques », cyniques comme à leur habitude, n'hésitent néanmoins pas à mettre à profit la sollicitude qui leur est ainsi témoignée pour renforcer, chaque jour un peu plus, leur implantation et leur présence dans une région qui a été, il y a peu de temps encore, la chasse gardée de la France.

Entre une Amérique triomphante, tournée résolument vers l'avenir, ne craignant pas de voir la démocratie à doses, il est vrai, homéopathiques prendre racine dans des terres « alliées », pragmatique et conquérante, et une France revancharde, désespérément frileuse et conservatrice, pitoyablement accrochée à un passé colonial irrémédiablement révolu, l'histoire semble avoir décidément tranché. Le Maghreb ou plutôt les pays du Maghreb, comme le reste des pays du monde ne font qu'essayer de s'adapter, comme ils peuvent, à ses contraintes et lois. Ils auraient certainement pu y arriver d'une autre manière qui leur permettrait, en étant solidement unis et solidaires, de ne pas trop s'exposer aux pressions et aux avidités des puissances étrangères. Malheureusement, ce vœu est condamné à rester de l'ordre du rêve tant et aussi longtemps que la Monarchie marocaine, auxiliaire et cheval de Troie de la France, n'aura pas disparu !!!

03.01.06

--> partie I
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partie II


[1] Voir sur la nature des relations franco-marocaines, l'important livre de Perrault, Gilles, Notre ami le roi, Paris, Grasset, 1992.

[2] La dernière loi votée par le Parlement français qui fait l'apologie, à l'orée du XXIème siècle, du colonialisme en Afrique du Nord ne doit être considérée que comme un énième épisode de la guerre généralisée livrée par la France contre l'Algérie dans le but clairement avoué de l'affaiblir et de l'abaisser .

[3] De Saint Maurice, Thomas, Sahara Occidental 2001 : Prélude d'un fiasco annoncé, MA in International Relations, DES en droit international Actualité et Droit International, février 2002.

[4] Moniquet, Claude, « Le résultat des élections au Maroc masquent la réalité de la poussée islamiste », note brève ESISC, 16.09.2003.


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