OPINION

 

Sahraouis solidaires avec « Le Journal »

contre les vaisseaux fantômes de la désinformation

Ali Omar Yara, sociologue des conflits, Paris.

 

Ce texte militant est écrit en solidarité avec les deux journalistes, du « Journal Hebdomadaire » marocain, Boubker Jamaï - directeur de la publication - et Fahd Iraqi - secrétaire de rédaction, accusés par le « Centre européen de recherche, d'analyse et de conseil en matière stratégique » (ESISC, Bruxelles).

Ils avaient, en effet, à raison, mis en doute, (édition du Journal daté le 3 décembre 2005), le rapport du « Centre » intitulé « Le Front Polisario : partenaire crédible de négociation ou séquelle de la guerre froide et obstacle à une solution politique du Sahara Occidental ? » Le journal a mis en cause les méthodes de travail, « l'éthique et l'indépendance » de l'ESISC. Le président du « Centre », Claude Moniquet s'est dit, par la suite, choqué par « l'attaque insultante et blessante » de la publication.

Bien que nous ne soyons pas du même bord idéologique que ce Journal réformiste marocain, nous avons fortement apprécié la teneur de cet article ainsi que celle des articles précédents.

Tout d'abord, sous sommes attachés, en tant que sahraouis au principe et à l'action pour l'indépendance totale de notre peuple qui milite pour la décolonisation intégrale et pour que le Maghzen, force occupante, se saisisse et revienne à l'intérieur de ses propres frontières historiques héritées du colonialisme français et espagnol de 1956.

1° L'intérêt de cet hebdomadaire est considérable pour la société civile marocaine

Le peu de liberté dont disposent les démocrates marocains dans leur royaume, pays archaïque et réactionnaire, a été saisie par le Journal pour dire la vérité sur les réalités sociales marocaines et parler du conflit du Sahara occidental, non seulement concernant la guerre meurtrière entre l'ALPS et les FAR, mais sur le chambardement juridique-diplomatique - 1991-2006, qui n'a profité qu'au Maghzen.

Ainsi, Le Journal s'efforce d'expliquer, arguments à l'appui, les discours du Makhzen et les méfaits déstructeurs de la période « post-marche verte » en pleines années de plomb qui a sapé toute vérité sur nous, sahraouis. Il demeure, donc parmi les rares publications régulières marocaines qui a révélé à la société civile (y compris les universitaires) les véritables enjeux en parlant des indépendantistes sahraouis (et non de « séparatistes, les séquestrés de Tindouf, la main mise algérienne sur le POLISARIO etc.). Il a pris ainsi le contre-pied des officiels marocains (El Bayane, l'Opinion, le Matin etc.), et surtout contre la MAP, qu'un diplomate sahraoui qualifie d'« ONG virtuel ».

Si « Le journal » défend l'idée « autonomiste » du Sahara, cela n'altère pas nos convictions, pour nous Sahraouis, de revendiquer notre droit à indépendance totale et ne change rien non plus à la mutation que va prendre le Maghreb de l'axe républicain (Algérie-Sahara Occidental) qui se profile à l'horizon géopolitique régional, qui milite justement pour éloigner la religiosité violente héritée du despotisme oriental face au « Maghreb de l'équilibrisme méditerranée » qui piétine depuis un demi-siècle.

2° La désinformation contre le Mouvement de libération sahraoui

C'est dans ce sens, surtout, que nous avons lu le « rapport » et que nous avons relevé des exactions monstrueuses non pas uniquement sur sa méthode précaire, mais sur les informations relatives au Front POLISARIO, comme l'ont souligné les textes publiés, notamment à ARSO [(Cf. Letter from the Polisario Front to Mr Claude Moniquet President of the European Strategic Intelligence and Security Center, ESISC, 29.12.05) ; CARTA al director del European Strategic Intelligence and Security Center, Claude Moniquet, European Strategic Intelligence and Security Center, Brussels 18.01.06) ; Letter to the director of the European Strategic Intelligence and Security Center Claude Moniquet European Strategic Intelligence and Security Center, Brussels : Qui y a-t-il derrière le rapport de l'ESISC ? Khatry Beirouk, traduction ARSO 01.01.06) ; Review of the ESISC Report on the POLISARIO Front (Sidi M. Omar 22.12.05) ; Quand les officines de sécurité s'intéressent au Polisario ! (Baba Sayed 27. 11. 05)].

Pourquoi cet « establishment » fraîchement né, a porté plainte devant les tribunaux marocains ? La réponse se trouve dans le sens de ce proverbe marocain « Il m'a frappé, et se précipite pour me dénoncer présumant que c'est moi qui l'ait frappé ». Une sorte de perversité gratuite.

Mais, nous ne cherchons pas ici, l'identité du commanditaire de ce « rapport d'experts ». Sinon qui sont les commanditaires des « lettres » et autres « rapports » sur le Sahara Occidental ? Lettres et rapports qui comportent aussi des informations erronées, Tels : « La lettre ouverte de France-Libertés à l'attention de Mohamed Abdelaziz, Président de la République Arabe Sahraouie Démocratique », Paris, le 20 mai 2003 ; suivie par la lettre de : Afifa Karmous, « De l'application du droit international humanitaire », 5 juin 2003 et enfin le rapport, produit en temps record - 11 au 25 avril 2003 -, faisant état de la détention des prisonniers de guerre marocains par le Front Polisario, août 2003. Par ailleurs, on peut aussi s'interroger sur ce qui est derrière les hypothèses hasardeuses de quelques universitaires « désinformateurs », comme Chauprade (Cf. Les Sahraouis contre la vassalité de l'islamisme marocain et pour l'indépendance totale du SaharaOccidental, le 15 avril 2004, ARSO, Opinion).

On admet, en effet, que la désinformation, fait partie de la stratégie militaire de tous les temps, ainsi de la méta-stratégie économico-financière des systèmes libéraux. Sun Tse et Clausewitz ont posé des lois sur cette « chose » connue depuis de temps politiques reculés. Donnons les exemples véhiculés par les otanistes, durant la guerre froide, signalant que l'arsenal militaire conventionnel et surtout nucléaire (tactique et stratégique) est quantitativement, supérieur, en membres de têtes nucléaires, à celui des Etats-Unis et de l'Europe de l'Ouest. De même, l'affirmation erronée que les Etats-Unis ont mis en avant lors de la guerre du Golfe, taxant l'armée irakienne de « quatrième armée du Monde », qu'il faut éliminer. Ou encore, « la recherche », fortement appuyée par la centrale internationale (Conseil de Sécurité, et l'Assemblée Générale) sur l'existence des « Armes de destruction massive » irakienne, justifiée par la résolution 687 du Conseil de sécurité de l'ONU imposant l'élimination de toutes ces armes de destruction massive. Suivi par la création de la Commission spéciale des Nations unies chargée du désarmement (l'Unscom). Conforté par un autre rapport réalisé (rendu public le 24 septembre 2002) par les services secrets britanniques, selon lequel le régime irakien « continue de développer des armes de destruction massive » et serait en mesure de construire une arme nucléaire à court terme.

Le « rapport des nouveaux experts de Bruxelles » adopte la même ligne de conduite désinformatrice que les précédents. Un simple examen de ces « énoncés » nous montre, en outre que ces présuppositions et conceptualisations sensées êtres stratégiques, sont d'une pauvreté scientifique déconcertante :

1) Les évènements : la division du théâtre des opérations militaires n'est pas d'une grande qualification en termes de stratégie, ni ne reflète la guerre d'anéantissement produite dans les années de guerre (1976-1991) qui se solde par vingt mille marocains tués sur le sol sahraoui. Il n'a pas hiérarchisé les batailles d'ensemble en termes de « campagnes », ni souligné le fait que les fortifications militaires, constamment désarticulées par les unités de l'ALPS ne sont pas à imputer à la victoire des Marocains en retard d'une ou plusieurs batailles mais obéissent à une finalité de la stratégie américaine à sa sortie de la guerre froide (Cf. Ali Omar Yara, Processus d'insertion stratégique des Etats-Unis dans le Monde Arabe : Application opérationnelle au Maghreb, Rapport, GRISP/DEG, EHESS, Paris, 1991, 36 p. inédit)

2) Les cartes aussi sont erronées, notamment p. 32 mettant Ras-el-Khafra à côté de Sidi Ifni, et les lieux de combats, fixés sur cette carte montrent que l'auteur ne se soucie pas trop de la conception de la guerre totale (à se référer à celle publiée par Jean Lamore, Diario del Polisario, Il Manifesto l'Alfabeto Urbano Coplo di fulmine, Rome, 2004, p. 153).

Cette ligne de conduite nous réserve le pire et sape toute chance de paix au Maghreb occidental. Qui nous dit, que demain le Maroc, qualifiant nos territoires libérés (soit un tiers de l'ensemble de notre région sahraouie), de « zone tampon inhabitée » ne va pas déclencher les hostilités médiatiques, voire militaires pour les envahir.

Nous concluons sur deux éléments 1) le rapport des « nouveaux experts de Bruxelles » n'est que le résultat direct de la prise de conscience de l'opinion publique internationale et surtout en France de la profondeur des soulèvements populaires sahraouis des territoires occupés, relatés par la presse de l'hexagone. Du coup les Marocains, ou leurs maîtres à penser stratégiques, ont cherché un autre lieu européen pour étayer et diffuser des informations erronées sur le Sahara Occidental ; 2) Le Maghreb a suffisamment formé des vrais chercheurs et des experts avisés pour être apte à analyser de lui-même ses problèmes structuraux et ce type de rapport, n'est qu'une main-mise idéologique sur les pays du Sud.

En solidarité avec les deux journalistes du Journal, nous exigeons donc, que :

1° La décision du tribunal marocain annoncé pour le 16 février 2006 dans le procès « en diffamation » qui est intentée au Jourrnal par « Centre ISICS » prononce le non-lieu.

2° Le rapport soit révisé selon la loi de la recherche scientifique et de la transparence référentielle (plus crédible et plus admise).

3° Le Maghzen lève l'état de siège et stoppe la répression qui s'abat quotidiennement sur les citoyens sahraouis habitant les territoires occupés par le Maroc.

Paris, le 8 février 2006.


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