Publié dans Les Débats No 78, 14 au 20 mai 2003

Dossier sur le Sahara occidental

Opinion : Annan et la conspiration du palais

 

Les dernières révélations de l'ancien sous-secrétaire général des Nations unies, chargé des missions de paix, relancent le débat sur le complot tramé dans les hautes sphères de l'ONU, contre le peuple sahraoui : un complot qui, du reste, n'est pas le premier. Marrack Goulding a rapporté récemment , dans ses mémoires, Peacemonger, que le secrétaire général de la citadelle onusienne, Kofi Annan, œuvre depuis sa nomination en 1997, pour l'intégration du Sahara occidental au Maroc. Annan lui aurait demandé, à l'époque, de contacter le Texan James Baker, de le convaincre « d'accepter sa désignation en tant que représentant spécial et d'essayer de négocier un accord basé sur une autonomie pour le Sahara occidental au sein du royaume du Maroc ». Goulding s'est référé notamment à la lettre du secrétaire général de l'ONU, envoyée le 5 mars 1997 à l'ancien secrétaire d'Etat américain, pour confirmer ses dires. Il est question dans cette missive de la recherche d'un compromis.

C'est là la version des faits qui a été donnée par l'ex-sous-secrétaire général des Nations unies au quotidien madrilène El Pais, publiée dans son édition du 1er mai 2003. Le diplomate britannique a même, en guise d'appréciation, rappelé que son responsable hiérarchique avait récupéré un plan de Pérez de Cuellar, à l'époque « irréalisable, car les parties impliquées (le Maroc et le Polisario) n'étaient pas d'accord sur qui pourrait voter au référendum ». Pour plus de clarté, Goulding a précisé : « (Ce) plan stipulait qu'un envoyé spécial du secrétaire général négociera avec les deux parties un accord, à travers lequel le Sahara occidental s'intègrerait au Maroc mais, en échange, il bénéficierait d'une autonomie plus large que celle dont jouissent les autres régions et provinces marocaines, et les leaders du Polisario devraient jouer un rôle dans le gouvernement du territoire, pour au moins une période intérimaire, avant d'y organiser des élections ».

Les déclarations de l'actuel recteur de St. Antony's College d'Oxford, faites à moins de trois semaines de la remise du rapport (le 19 mai) de Kofi Annan au Conseil de sécurité, apparaissent comme des confessions de quelqu'un qui ne veut pas avoir sur la conscience la trahison du siècle et qui refuse aussi d'être complice du génocide du peuple sahraoui.

Ses révélations confirment, par ailleurs, ce côté transparent de la culture anglo-saxonne, que l'on redécouvre dans Peacemonder, l'envoi d'une copie à El Pais et l'existence d'une partie de la lettre de Annan de mars 1997 au niveau du musée virtuel de Baker. Contrairement à la culture francophone, qualifiée à tort ou à raison de « moins naïve », voire de « vicieuse », en liaison surtout avec les rapports néocoloniaux qu'entretient la France officielle avec les Etats arabes et africains, souvent des Etats jacobins. La France, de l'avis de certains observateurs, a été jusqu'à une date récente « le sous-traitant » des Américains au Maghreb, mais a vu son influence baisser après la guerre des Balkans, du Golfe… c'est-à-dire après l'intervention directe des forces US en Europe, puis récemment dans le région du Golfe. Paris, disent-ils, n'a pas su ou voulu valoriser ses relations privilégiées avec ces pays qui étaient sous son influence. Ce qui expliquerait son soutien sans faille à « un Maroc aux ordres », qui piétine sur « ses sujets » et demeure « irrespectueux des rapports de bon voisinage et du droit des Sahraouis à l'autodétermination et à l'indépendance ». Ces observateurs relèvent également que le peuple sahraoui « paie hélas ! les pots cassés » du ménage France-Algérie, en faisant allusion aux milieux français qui n'ont pas encore avalé la pilule de l'Algérie indépendante et qui revoient donc le Front Polisario à travers le FLN/ALN. A ces observateurs de situer les enjeux actuels comme suit : « Qui dit indépendance du Sahara occidental dit renforcement de la vision de développement au Maghreb et orientation politique, en faveur de l'indépendance de cet espace par rapport aux puissances étrangères ». Selon eux, la guerre contre l'Irak, en dépit de son côté injuste et illégal, a néanmoins remis en cause un ordre mondial installé au lendemain de la seconde Guerre mondiale et créé « une nouvelle dynamique dans le monde arabe », pouvant s'avérer positive, si les dirigeants savent en tirer profit. Cela expliquerait, sur un autre plan, l'alignement de Madrid sur les positions américaines, car « l'Espagne, porte de la Méditerranée, ambitionne de rejoindre les grandes puissances, le groupe des huit » et « n'apprécie plus de voir Rabat passer par Paris, pour conclure ses accords économiques ou poursuivre ses chantages permanents ».

Kofi Annan : le candidat des Américains

Concernant l'attitude de l'actuel secrétaire général des Nations unies, il faut peut-être revenir aux années 1996 et 1997, au moment où les Américains le présentaient comme leur candidat à ce poste sensible, en opposition à l'Egyptien sortant, Boutros-Ghali, qui était qualifié d' « homme de la France ». A ce moment-là, Paris ne voulait pas d'un Annan et avait même menacé d'utiliser son droit de veto. Le silence des représentants français au Conseil de sécurité devant la nomination de Annan à la tête du secrétariat général de l'ONU a dû être négocié, en contrepartie d'une certaine conduite à tenir, quant au traitement de la question sahraouie, puisque des informations font état d'une « visite secrète » du candidat à Paris. Dans un tel cas de figure, Annan aurait donc « acheté » son poste de secrétaire général, acceptant de sacrifier les Sahraouis. Une fois nommé, il a choisi l'Américain James Baker, l'invitant à trouver une solution favorable au Maroc, donc à la France.

L'ancien ministre américain des Finances et des Affaires étrangères est un homme du sérail, qui appartient au groupe pétrolier texan. Il est, par conséquent puissant. Mais, cela signifie-t-il pour autant que sa position personnelle est celle de l'Etat américain ? Dans certains milieux, on affirme que Baker a accepté la mission d'envoyé spécial des Nations unies pour organiser un référendum. En avril 1997, le diplomate américain avait, en effet, affirmé à la presse, à la veille de sa tournée dans la région du Maghreb, qu'il ferait « tout son possible pour réussir la mission ». Il avait aussi soutenu qu'il possédait « l'expérience nécessaire pour contribuer au règlement du problème ». Le même Baker, en visite dans les campements de réfugiés sahraouis, à Tindouf (Algérie), avait déclaré aux journalistes : « Si j'arrive à la conclusion que le plan de paix ne peut être mis en œuvre, il y aura d'autres initiatives que je pourrai suggérer au secrétaire général de l'ONU ». Il a ainsi forcé les deux parties en conflit, le Maroc et le Polisario, à s'accorder sur le maintien du plan de paix onusien et à signer les accords de Houston, en septembre 1997, qui devaient conduire à l'organisation d'un référendum en décembre de l'année suivante. Les parties marocaine et sahraouie avaient d'ailleurs convenu que l'ONU « est tenue par le plan de règlement d'assurer l'organisation et le déroulement d'un référendum, qui soit libre, régulier, transparent et exempt de toutes contraintes ».

Au premier semestre de l'année 2000, l'envoyé personnel de Kofi Annan rencontre de nouveau les belligérants, en laissant entendre cette fois qu'il pourrait outrepasser le plan de paix et explorer de nouvelles voies de règlement.

Comment expliquer le revirement de Baker ?

La réaction de l'ancien secrétaire d'Etat américain intervient après la publication de la liste des votants potentiels (plus de 86.000 personnes) et la sortie offensive des Marocains qui avaient inondé la commission d'identification de la Minurso (mission des Nations unies pour un référendum au Sahara occidental). En réalité, il était clair pour tout le monde, à commencer par le Maroc et la France, que la tenue d'un référendum allait confirmer l'indépendance de l'ancienne colonie espagnole. Cette situation à laquelle venaient se greffer le rapport pessimiste du secrétaire général de l'ONU, la visite officielle de Annan à Paris (mars 2000) et le travail diplomatique français, peut-être même d'autres milieux européens, a certainement joué en faveur d'une soi-disant « solution politique » de « ni gagnant ni perdant » : la troisième voie. Mais, que peut bien signifier une solution politique, alors que le référendum en est une ? A moins que l'intention était d'arriver à une solution injuste, en poussant le mouvement indépendantiste sahraoui à la compromission. Pourquoi parler aussi d'une solution de ni gagnant ni perdant, sachant pourtant que le grand gagnant sera la légalité internationale, la solution démocratique, le respect des droits de l'homme et celui du droit des Sahraouis à choisir librement leur sort.

Pour revenir à Baker, ce dernier sait pertinemment que son pays, à la différence de la France, ne considère pas le dossier sahraoui comme une priorité de sa politique extérieure. Les bonnes relations entretenues par les autorités de Rabat avec le lobby juif et la découverte du pétrole au Sahara occidental, ainsi que la conclusion d'accords entre le Maroc, la compagnie française Total Elf/Fina et la compagnie pétrolière américaine Kerrmagee, ont certainement convaincu le diplomate US de l'option d'intégration et des transactions juteuses à tirer, d'autant que son propre fils siègerait, semble-t-il, au Conseil d'administration de Kerrmagee. Tant que James Baker arrive à concilier ses intérêts personnels et ceux des Etats-Unis, dans le domaine pétrolier, tant que ses propositions de règlement ne rencontrent pas de fortes oppositions des parties directement concernées, des pays observateurs du processus de paix au Sahara occidental et même de l'Espagne, en sa qualité d'ancienne puissance administrante, les Américains laisseraient faire Baker et pourraient même s'accommoder d'une fausse paix, qui réduirait par ailleurs les tensions avec les Français.

Mais, qu'en est-il au juste de la dernière proposition de Baker et Annan ? Tous deux justifient le recours à un nouveau plan par la situation de blocages et les difficultés rencontrées autour de la question des électeurs. Cette manière d'agir ne tient pas la route, puisque les blocages viennent de la partie marocaine, reconnue y compris par le secrétaire général, dans un de ses rapports. Comment peut-on alors motiver la recherche d'une solution, autre que celle du plan de paix et des accords de Houston, par la problématique des votants, alors que la démarche existe depuis 1975 et a été actualisée en 1990 et 1991, puis complétée en 1997, avec le consentement des deux parties en conflit ?

Des droits universellement reconnus

Il n'est pas exagéré d'affirmer que la dernière proposition vise à aggraver la question du corps électoral, habilité à prendre part au référendum et tend à enterrer le caractère colonial du dossier sahraoui. Ladite proposition distingue trois sortes de votants : les personnes enregistrées dans la liste établie, en décembre 1999, par l'ONU, les réfugiés sahraouis qui sont déjà pris en compte par la même liste et les résidents au Sahara occidental. Il y a là volonté de remettre en cause tout le travail de la commission d'identification de la Minurso, qui a déjà tranché sur le problème des votants et celui des membres des groupements tribaux, proches aux 600 Marocains qui résidaient au Sahara occidental, au moment du recensement espagnol de 1974, d'ailleurs distingués des Sahraouis par les numéros suivants : H41, H61 et J51/52.

Une telle option veut forcer la main à la longue histoire des Sahraouis et à celle de leur territoire ; une option qui, si elle passe, aurait de lourdes conséquences sur l'identité maghrébine, la question de la stabilité et l'avenir des peuples de cet espace géographique. Baker et Annan ne suggèrent ni plus ni moins qu'un « plan monstre », qui tourne le dos aux droits nationaux du peuple sahraoui et aux efforts fournis par la mission de l'ONU, particulièrement ses membres les plus intègres. En mettant sur la sellette les résidents, ces « colons marocains » installés au Sahara avant 1999, le secrétaire général et son envoyé personnel projettent la communauté internationale dans une logique d'impuissance et de reddition. Ils tendent aussi la perche aux autorités de Rabat, qui répondent par la demande de prise en charge de tous les résidents sans exception.

La proposition telle qu'elle est formulée appelle à l'organisation d'un référendum, dans…cinq ans. Si vraiment Baker et son supérieur recherchent la consultation du peuple sahraoui, pourquoi ne recommandent-ils pas plus de rigueur et de fermeté dans l'application du plan de paix et des accords de Houston ? En fait, ils demandent aux Sahraouis de passer d'un plan qui leur permet de choisir entre l'indépendance et l'intégration au Maroc, à un autre plan qui veut les remplacer par des électeurs marocains. Cette idée n'est pas nouvelle dans les annales des Nations unies et date de la période où Pérez de Cuellar était secrétaire général.

La nouvelle proposition comporte également deux étapes de vote. L'élection au bout d'une année d'une autorité pour le Sahara occidental (ASO), par les 86.000 personnes enregistrées sur la liste des Nations unies, qui se chargerait de la gestion du territoire, avant d'organiser un référendum, cinq ans plus tard. Qui veut-on tromper, les Sahraouis, l'Assemblée générale des Nations unies, la commission de décolonisation ou la communauté internationale ? Est-il logique d'élire une ASO, où les Sahraouis seraient « maîtres » des lieux pendant une période de transition, sous le drapeau marocain, en leur demandant, dans le même temps, de préparer leur acte de décès ? Ou faut-il comprendre alors que la période transitoire permettrait aux Marocains de faire le grand nettoyage, quitte à procéder au génocide d'un peuple, avant le grand J ? Pourquoi cherche-t-on à attirer le Polisario et les réfugiés sahraouis vers le territoire sous occupation marocaine ? Pourquoi s'empresse-t-on à offrir au Maroc la souveraineté de ce territoire, avant même la tenue du référendum, alors qu'au Timor de l'est, seul le drapeau onusien a droit de cité, pendant la période de transition ? Le secrétariat général de l'ONU donne l'impression d'être plus préoccupé par le régime marocain que par le sort du peuple sahraoui. Il ne semble même pas se préoccuper de cet autre peuple, marocain, qui aspire à vivre dignement et en citoyens libres. C'est là qu'apparaît tout le sens des révélations de Marrack Goulding, qui prévient du coup de force contre le peuple sahraoui, dont les droits sont pourtant universellement reconnus. Et, c'est là qu'apparaît aussi toute la signification de la machine maléfique du Makhzen et des harcèlements judiciaires exercés par Rabat contre des journalistes et démocrates marocains, qui recherchent la vérité, rien que la vérité.

Hafida Ameyar

 


Batailles autour du corps électoral

L'implication de hauts fonctionnaires onusiens

 

A la veille de l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, soit en juillet 1991, le Maroc qui s'est engagé dans la voie l'organisation d'un référendum d'autodétermination du peuple sahraoui, se lance dans la bataille de l'identification du corps électoral, qui lui assurerait « la marocanité » du territoire du Sahara occidental : il transmet le 12 juillet à l'ONU une liste de 75.000 noms, présentés comme des Sahraouis.

Onze jours après, il revient avec une nouvelle liste de 45.000 personnes supposées sahraouies. Le 15 septembre de la même année, le défunt roi Hassan II informe le secrétaire général des Nations unies de l'existence de 170.000 votants sur le sol marocain, qui auraient été oubliés par les Espagnols, lors du recensement de 1974 que ces derniers avaient établis pour procéder à la décolonisation de leur colonie, le Sahara occidental. Le monarque marocain lance, dans le même temps, le coup d'envoi de nouvelles « marches vertes » vers le territoire annexé.

A quelques mois du référendum, prévu pour janvier 1992, le secrétaire général de l'ONU de l'époque, Pérez de Cuellar, tente à l'insu des Sahraouis d'introduire de nouveaux critères d'identification : il propose dans son rapport du 19 décembre 1991 de modifier la constitution du corps électoral. Son rapport est rejeté par le Conseil de sécurité, mais le scrutin est reporté sine die. Comme en décembre 1974.

Le 1er janvier 1992, Boutros Ghali remplace de Cuellar, et comme son prédécesseur, il envisage d'abandonner le cadre du plan de paix ONU/OUA, à travers l'élargissement de la base de l'électorat. Cet épisode sera à l'origine d'un nouveau blocage de l'opération d'identification. Celle-ci démarre quand même en 1994. Hassan II déclare en octobre de cette année que si le Polisario l'emportait au référendum, « les partisans du Maroc au Sahara seront exposés à un génocide et il faudra les défendre ». Le président de la commission d'identification, Erik Jensen, ouvre la voie à Rabat, en lui permettant d'introduire, en novembre, 150.000 candidatures, soit plus de 200% par rapport au corps électoral inscrit dans le recensement espagnol. Le vote, reporté pour le début de l'année 1995, est alors renvoyé à janvier 1996. Boutros Ghali revient à la charge, dans son rapport du 24 novembre 1995 et propose, outre l'identification de ces 150.000 personnes, celle des membres de trois groupes tribaux marocains (H41, H61 et J51/52), ne figurant pas dans le recensement de 1974. Cette situation conduira au gel du processus d'identification. Un nouveau secrétaire général est nommé en 1997 : Kofi Annan. Ce dernier nomme à son tour l'Américain James Baker comme son envoyé personnel. Ce dernier tente de relancer le processus de paix au Sahara occidental. Il parvient à faire signer par les deux parties en conflit, le Maroc et le Polisario, les fameux accords de Houston. Ceux-ci reposent sur le compromis de Boutros Ghali, à savoir l'identification des groupes tribaux, contestés auparavant par la partie sahraouie, et s'appuient toujours sur le plan de paix onusien. Ils insistent surtout sur le respect des « frontières internationalement reconnues du Sahara occidental » et prévoient la réduction des forces armées marocaines de ce territoire.

En octobre 1998, Annan soumet aux parties concernées un paquet de propositions pour, dit-il, parachever la décolonisation du Sahara. Il est question, selon lui, de « concilier » les points de vue sur « la question controversée des groupements tribaux » et les inscrire « dans le droit fil des dispositions du plan de règlement ». Cependant, ce responsable avalisera les réaménagements apportés, en mars 1999, par les Marocains, en rassurant Sahraouis et communauté internationale et en réaffirmant que « les efforts pour organiser un référendum se poursuivraient ».

En juillet de cette année, Annan informe le Conseil que le nouveau roi, Mohammed VI, continue de soutenir « son attachement au maintien de l'intégrité territoriale du Maroc », par la tenue d'un référendum « de confirmation », sous les auspices de l'ONU. Trois mois plus tard, il signale au même Conseil 79.125 appels de recours, dont 94% proviennent de la partie marocaine.

En décembre 1999, Annan met en avant « les contraintes sérieuses » d'ordre logistique et estime qu'il n'existe pas de grandes possibilités de tenir le scrutin avant l'année 2002 et même plus.

Au début du mois de janvier 2000, la commission d'identification des Nations unies annonce que 86.381 personnes sont retenues comme électrices potentielles (sur 198.481 identifiées) au référendum de juillet 2000. Elle rappelle aussi que concernant les 65.000 membres des groupements tribaux, 2.135 sont acceptés comme électeurs. Commence alors la bataille des communiqués entre les Marocains et les Sahraouis. Ces derniers exigent « l'application stricte » du plan de paix et des accords de Houston, puis interpellent Kofi Annan, en lui demandant d'admettre son échec et de retirer les forces de l'ONU du Sahara occidental, si le référendum ne se tient pas en l'an 2000. Pour toute réponse, le secrétaire général publie son rapport du 18 février 2000, annonçant qu'il « n'est plus possible de prévoir une date précise pour la tenue du scrutin référendaire », mais sans demander aux casques bleus de quitter le Sahara.

Le mois suivant, Annan, en visite officielle à Paris, déclare que l'ONU fait « face à 130.000 recours, dont l'examen demande du temps » et laisse entendre que « toutes les parties concernées » doivent chercher « une solution et sortir de cette impasse ». La même année, James Baker introduit l'idée de passer outre le plan de paix et d'explorer de nouvelles voies de règlement. Il proposera plus tard un accord cadre, prévoyant une large autonomie du Sahara occidental, sous souveraineté marocaine. La proposition est rejetée par les parties.

En février 2003, le diplomate américain revient avec « un plan pour un référendum du peuple sahraoui ». Une copie réactualisée de l'accord cadre. Une fois de plus, la proposition est rejetée par les parties.

Les démarches des trois secrétaires généraux des Nations unies, Pérez de Cuellar, Boutros Ghali et Kofi Annan, comportent un dénominateur commun, celui de vider la question sahraouie de son caractère colonial. D'où ces batailles autour de l'enjeu électoral

Z'hor Chérief

 


Malaise au sein de l'ONU

Révélations et démissions

Au début des années 1990, le malaise est perceptible au sein de la Mission des Nations unies pour un référendum au Sahara occidental (Minurso). Le Suisse Jean-Luc Held, membre de l'unité médicale, dénonce en mai 1994 les violations marocaines dans le territoire sahraoui et le parti pris de l'ONU. Deux ans plus tard, le vice-président de la commission d'identification de la Mission, Frank Ruddy, témoigne que la Minurso est « devenue l'instrument de la domination marocaine » sur le processus d'identification, accusant également « les comportements de type mafieux » des Marocains.

Toujours en 1995, la Ligue belge des droits de l'homme demande la démission du chef militaire de la Mission, Van Baelen. Certains membres, soutenus par des ONG, ont mis à nu les pratiques irrégulières de Rabat.

En avril 1999, le représentant spécial du secrétaire général de l'ONU, Charles Dunbar, démissionne de son poste. Pour de nombreux observateurs, ce responsable qui s'était engagé pour régler le problème des groupements tribaux, aurait refusé de cautionner la démarche de Kofi Annan, après que ce dernier ait accepté les réaménagements apportés par Rabat au paquet de propositions et après les déclarations du roi Hassan II, se rapportant à « une consultation référendaire confirmative de la marocanité du Sahara ».

Le 1er mai 2003, l'ancien sous-secrétaire général des Nations unies, Marrack Goulding, dénonce Annan et l'accuse de vouloir faire revivre un certain plan, qui a pourtant été rejeté par le Conseil de sécurité.

Z.C
 

Histoire et repères

* La colonisation espagnole au Sahara occidental, qui date du 26 décembre 1884, a été décrétée par ordonnance royale et notifiée aux puissances occidentales.

C'est en 1963 que le principe d'autodétermination du peuple sahraoui a été reconnu par les Nations unies, en conformité avec la résolution 1514, dite déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux. Depuis cette date, la IV commission de décolonisation (de l'ONU) examine régulièrement le dossier sahraoui.

Le 10 mai 1973, des anciens militants du mouvement de libération sahraoui (MLS) des années 50 et des jeunes, dont des étudiants, créent le Front Polisario. Celui-ci marquera, le 20 mai de la même année, le début de la lutte armée, pour mettre fin aux « manifestations pacifiques, comme moyen pour atteindre l'indépendance ».

* La superficie du Sahara occidental est de 248.000 kilomètres carrés. Depuis la moitié des années 80, les deux tiers du territoire sont occupés par les formes marocaines. Ils possèdent d'importantes réserves de phosphate, de fer et de poissons. Des indices assurent l'existence de pétrole et de gaz, en grandes quantités.

Z.C

 

Le plan de Pérez de Cuellar

En décembre 1991, le secrétaire général de l'ONU, Pérez de Cuellar veut forcer la main au recensement espagnol de 1974, en cherchant à imposer aux Sahraouis de nouveaux critères d'identification. Dans son rapport, il propose de prendre en compte :

* les personnes inscrites dans le recensement de 1974 ;

* les personnes qui résidaient dans le territoire du Sahara occidental, mais qui « n'avaient pas pu être recensées » par les Espagnols

* les membres de la famille « proches de ces deux premiers groupes » (père, mère, enfants) ;

* les personnes de « père sahraoui, né sur le territoire »

* et les personnes ayant « résidé pendant six années consécutives ou par intermittence, pendant une durée cumulative de douze ans, avant le 1er décembre 1974 ».

Z.C

Prisonniers de guerre

Une libération réciproque

Mohamed Sidati, le conseiller sahraoui à la Présidence n'a pas apprécié la délivrance par des parlementaires européens d'un passeport pour la liberté, à un des prisonniers de guerre marocain. Dans un communiqué récent, M. Sidati a qualifié l'initiative des parlementaires d' « opération de manipulation politique », de « manœuvre insidieuse visant à semer l'amalgame et la confusion, quant aux données réelles du conflit du Sahara occidental ». Le ministre délégué pour l'Europe a rappelé que le pilote marocain en question, Zagay Mimoum, a été capturé, « alors qu'il déversait sur le peuple sahraoui un déluge de bombes », de napalm et de phosphore blanc.

Le 6mai dernier, le responsable sahraoui s'est exprimé sur la libération réciproque de prisonniers de guerre sahraouis et marocains, précisant que celle-ci « devrait intervenir selon le plan de règlement », qui devrait conduire à la tenue d'un référendum d'autodétermination du peuple sahraoui. M. Sidati a rappelé « la libération de plus de 1000 prisonniers dans le cadre de gestes humanitaires », alors que le Maroc « a libéré, à ce jour, 66 prisonniers de guerre sahraouis ».

Il est à souligner, par ailleurs, que le président du groupe parlementaire des partis socialistes européens, Baron Crespo, vient d'envoyer une lettre à l'ambassadeur du Maroc auprès de l'Union européenne, pour exprimer sa « préoccupation », quant aux violations des droits de l'homme dans les territoires occupés du Sahara occidental.

Z.C

Droits de l'homme au Maroc

Le cas de Ali Lmrabet

Tout s'éclaire à propos du harcèlement judiciaire dont fait l'objet actuellement Ali Lmrabet, directeur des deux journaux marocains Demain et Doumane. Dans son édition du 26 avril dernier, Demain rappelle que Lmrabet a eu droit à trois accusations « les plus graves » : « outrage au roi », « atteinte au régime monarchique » et à « l'intégrité territoriale du Maroc ». Il est fait part d'un article paru dans Doumane, traitant de la « liste civile du roi » au Parlement, c'est-à-dire du « budget alloué chaque année au monarque par l'Etat marocain ». Un article puisant « du document qu'envoie le ministre des Finances aux parlementaires marocains », « un document officiel, qui vote est publié (…) au journal officiel ». Le journal indique aussi la reprise d'extraits de l'interview du « républicain » Abdellah Zaâzaâ, accordée au quotidien catalan AVUI. « Que Zaâzaâ dise qu'il est pour l'autodétermination du peuple sahraoui, c'est son droit. Est-ce qu'on est d'accord avec lui ? Peut-être que non. Mais, il est de notre devoir de lui donner la parole », écrit Doumane. Avant de poursuivre : « Si aux yeux du pouvoir, la satire, le dessin et l'humour sont des ennemis irréductibles, qu'en est-il du véritable ennemi : le chômage, la misère matérielle et morale de millions de Marocains (…) ».

Z.C

Protestation des prisonniers sahraouis

Grève de la faim de 48 H.

Plusieurs centaines de prisonniers sahraouis, politiques et de droit commun, incarcérés dans les prisons d'El Ayoun (capitale du territoire occupé du Sahara), Ait Melloul, Tiznit, Safi, Salé et Kenitra, ont entamé une grève de la faim de 48 heures, le 9 mai dernier, pour protester contre les mauvais traitements et les jugements sommaires. Ils demandent le droit de visite pour leur famille, le droit à l'information et à la formation, le respect de leur dignité et appellent les organisations de défense des droits humains à faire pression sur le gouvernement du Maroc.

Z.C

Accord secret américano-maroco-espagnol

Un coup de pouce de Washington ?

Le quotidien espagnol La Razon a révélé la semaine passée l'existence d'un accord secret, qui a été conclu lors du sommet des Açores, visant à amener les autorités de Rabat à renoncer à ses revendications territoriales sur les enclaves Ceuta et Melilla. Le journal a annoncé que "Washington va adresser au Maroc un courrier lui proposant de geler ses revendications sur les deux villes, en échange d'un soutien sur la question du Sahara".

Z.C

Le ministre sahraoui des Affaires étrangères invité d'El Khabar

« Nous sommes hélas plus proches de la guerre »

 

Il est possible, a expliqué le responsable sahraoui, de construire l'ensemble maghrébin, selon « deux formules », avec six pays ou quatre pays : rassembler tous les Etats de la région, y compris la RASD et le Maroc ou carrément exclure ces deux pays en conflit.

Le ministre des Affaires étrangères de la RASD (République sahraouie), Mohamed Salem Ould Salek a été l'invité du quotidien arabophone El Khabar, le mercredi 7 mai. Ce diplomate, également membre de la direction nationale du Front Polisario, a abordé plusieurs questions se rapportant à la question du Sahara occidental, lors de l'émission hebdomadaire « Foutour essabah » (Petit déjeuner). Dans son édition du samedi, le journal a indiqué que la dernière proposition de James Baker, intitulée « Plan de paix pour un référendum au Sahara occidental », a été rejetée par la partie sahraouie. M. Ould Salek a révélé que l'initiative de l'ex-secrétaire d'Etat américain ne diffère pas de l'accord cadre ou de la « troisième voie », qui préconise l'intégration du Sahara au royaume du Maroc. « Baker a donné un tarbouche (chapeau) à sa proposition pour la vendre », a souligné l'invité, en affirmant que celle-ci ne respecte pas le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination et vise, au contraire, à organiser un référendum, pour confirmer la « marocanité » du territoire occupé. « Si l'ONU n'est pas capable d'organiser un référendum conformément au plan de paix onusien et africain, qui a été accepté par les deux parties en conflit, pourquoi la proposition tient-elle à la tenue d'un référendum », s'est demandé ce responsable. Pus de remarquer que l'objectif attendu est de « changer un peuple par un autre.

Concernant la période transitoire figurant dans le projet Baker, le ministre a rappelé « l'expérience amère » de l'ONU, dans ce domaine, en Palestine, au Timor de l'Est et au Rwanda, qui a assisté à « un génocide », sous l'égide des Nations unies. Il ne comprend pas pourquoi le plan « donne la souveraineté à l'avance au Maroc », alors que ce pays « ne peut être à la fois partie et juge ».M. Ould Salek a clairement noté que ni la direction du Polisario, ni les Nations unies, ni même Baker ou Annan n'ont le droit décider à la place du peuple sahraoui. Il a aussi laissé entendre qu'en cas de dépassement de « certaines lignes rouges », le retour de la guerre s'imposera de lui-même. Puis d'ajouter : « Nous sommes hélas plus proches de la confrontation armée (…), si le Maroc ne change pas sa politique coloniale ».

Lors de l'entretien, le ministre a commenté la problématique des « Etats microscopiques », relevant que « la RASD est plus grande que 50 Etats membres des Nations unies ». Il a aussi révélé que l'argent de la drogue et des émirs du Golfe a servi pour l'armement du Maroc. Ould Salek a rappelé que Rabat a bénéficié d'un apport financier européen, pour la cinquième fois, afin de détruire la culture de la drogue. Seulement, a-t-il précisé, cette aide a été détournée, à d'autres fins, grâce à la corruption. L'invité de « Foutour essabah » a déclaré que le régime de Saddam Hussein a soutenu également le Maroc financièrement, pendant un longue période.

Le ministre des Affaires étrangères de la RASD a, par ailleurs, confié que la question sahraouie est « le principal blocage » pour la construction de l'Union du Maghreb, tel que conçue par les leaders des mouvements de libération maghrébins, dans les années 50. Ce responsable a assuré que les Sahraouis sont prêts à contribuer à l'édification de l'espace maghrébin, mais refusent que cette construction « se fasse sur la dépouille du peuple sahraoui », qui ne demande que son droit à l'autodétermination, par la voie d'un référendum « libre et juste ». Mohamed Ould Salek a soutenu que la naissance de l'UMA, qui s'est faite dans les années 80 sans les Sahraouis, répond à « la conviction » de certains que l'ouverture des frontières et la réalisation des pipe-lines de gaz et celle de projets en commun, constituera une alternative au Maroc face à la colonisation. Il a estimé que cette idée « audacieuse et de bonne intention », n'a pas, malheureusement, trouvé écho au Maroc et a même coûté à l'Algérie la circulation des armes, pour l'assassinat des Algériens, l'entrée de la drogue et des produits subventionnés.

Il est possible, a expliqué le responsable sahraoui, de construire l'ensemble maghrébin, selon « deux formules », avec six pays ou quatre pays : rassembler tous les Etats de la région, y compris la RASD et le Maroc ou carrément exclure ces deux pays en conflit. Seulement, a remarqué le ministre, la présence du Maroc à la table des négociations des pays maghrébins est considérée comme « une marginalisation de la volonté des peuples du Maghreb ». Aussi, le diplomate sahraoui a jugé qu'il est possible à l'Algérie, à la Tunisie, à la Libye et à la Mauritanie de « faire avance la construction de l'Union du Maghreb, qui sera rejointe, par la suite, par les Sahraouis et les Marocains. A M. Ould Salek de déclarer que la partie sahraouie « est prête à travailler sérieusement pour la réussite de l'espace maghrébin », même à partager « tout ce qu'elle possède comme richesse » avec les voisins, selon un plan arrêté en commun accord.

Z'hor Chérief
 
Les dérobades de Ould Salek

 Au cours du débat, le ministre sahraoui a évité de répondre à certaines questions des journalistes d'El Khabar. Il n'a pas, selon des indiscrétions, voulu répondre ou commenter celles se rapportant aux raisons de « déviations » de Baker et Annan, par rapport au plan de paix, à l'évolution de la position algérienne depuis 19975, aux déclarations du général en retraite, Khaled Nezzar, à la situation interne sahraouie et à l'expérience de la construction de la RASD. Faut-il interpréter les silences comme seulement des réserves.

Z.C

 
« Lettre à mon frère marocain »

Fadel revient cette semaine…

Avant de mourir (en mai 2002), Fadel Ismaïl a laissé un testament (*) pour son peuple du Sahara occidental et pour le peuple voisin du Maroc. Fidèle à la lutte d'indépendance et jaloux de son identité, ce militant sahraoui de la génération de Ouali Mustapha Sayyed, se place le débat d'idées et appelle le Marocain, celui-là qui est prêt à changer les choses dans son pays et à briser les chaînes du silence et de la servitude, à réagir. L'ancien représentant du Polisario au Royaume-Uni invite le démocrate et l'intellectuel marocains à réfléchir à un dialogue « franc, direct et constructif », afin de trouver cette solution « conforme au droit, à l'histoire et à la vérité ». Une solution qui entérinera « la victoire » des peuples marocain et sahraoui, d'une part, et celle des peuples de la région, de l'autre. L'autonomie qu'il assimile à l'intégration est, dit-il, « une fausse solution », car l'une comme l'autre tourne le dos à « la reconnaissance officielle » des Sahraouis et de leur « différence ».

Fadel Ismaïl, cet ancien journaliste et cet intellectuel ouvert à la culture du dialogue, plaide pour une « solution souveraine de ni vainqueurs ni vaincus, qui scellera, selon lui, le retrait du Maroc du Sahara occidental et construira une nouvelle relation. « Le règlement du conflit, sur la base juste, conforme au droit, à l'histoire et à la vérité, est une victoire commune du peuple marocain et du peuple sahraoui », écrivait.

Z.C

(*) Testament de Fadel: on le trouve sur ce site: http://www.arso.org/lettrefad2.htm


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