Publié dans Les Débats, No 76, du 30 avril au 06 mai 2003

 

Opinion : La décolonisation du Sahara occidental

La balle est dans le camp de la paix

 

Ces dernières semaine, une vague de répression s'est abattue sur les Sahraouis, se trouvant dans leur territoire sous occupation marocaine. Elle a surtout ciblée les militants des droits de l'homme, qui tentent, tant bien que mal, à briser le mur du silence. Une des associations locales, la section Sahara du forum vérité et justice, créée en 2000 s'est vue gelée les activités extérieures, depuis deux années. Aujourd'hui, les autorités marocaines cherchent à la dissoudre complètement, en l'accusant d'avoir des « liens avec des parties étrangères », de comploter avec des « instances et organisations internationale hostiles au Maroc ». Le 23 avril dernier, la justice marocaine allait décider de l'élimination de cette association. Elle s'est rétractée, préférant jouer dans la provocation ou dans les manœuvres : report du procès au 4 mai 2003. C'est-à-dire, le jour même où le nouveau bureau de la section Sahara du Forum Vérité et Justice sera élu.

Le fait accompli de Rabat
D'autres Sahraouis font face quotidiennement à la politique coloniale du Maroc, enregistrant des intimidations, des menaces, des licenciements abusifs, des arrestations et des emprisonnements arbitraires, ainsi que le refus de sortir des espaces contrôlés par les forces répressives marocaines. Une délégation de familles des disparus sahraouis du territoire occupé a été empêchée, récemment, de se rendre à Genève, au siège des Nations unies, pour porter la voix de ce peuple pacifique au niveau de la Commission des droits de l'homme… Le Maroc, aujourd'hui (encore !), veut mettre toute la communauté internationale devant le fait accompli. Il refuse de se soumettre aux résolutions de l'ONU, portant sur l'achèvement du processus de décolonisation au Sahara occidental, à travers la tenue d'un référendum d'autodétermination. Il interdit aux observateurs indépendants de se rendre au Sahara occidental. Il se permet de piétiner le plan de paix et les accords de Houston, sous le nez des agents des Nations unies, pourtant présents depuis l'instauration du cessez-le-feu, en exploitant les richesses du sous-sol sahraoui (phosphate, minerai…), en signant des accords de pêche et de « prospection pétrolière » avec des compagnies étrangères. Depuis la mort du roi Hassan II, pendant l'été 1999, on assiste à des tentatives d'exclusion du Front Polisario, représentant légitime du peuple sahraoui et reconnu par les instances régionales et internationales. On avance l'idée de l'autonomie du Sahara occidental sous la souveraineté marocaine, en se mettant au parfum du jour, qualifiant les dirigeants du mouvement de libération nationale, le Polisario, de « terroristes ».

La trahison : une constante ?
Le Sahara occidental est un territoire colonisé par l'Espagne au siècle dernier, plus exactement en 1884, qui a été privé de son indépendance, après son annexion et son occupation par les forces royales marocaines, à la fin de l'année 1975. Cette agression s'est faite dans le sang, contraignant une partie de la population sahraouie à l'exil.
Depuis la construction de murs, par Rabat, séparant le territoire occupé (environ les deux tiers du Sahara occidental) et celui restant, encore entre les mains du Polisario, les familles sahraouies sont déchirées. Les unes, habitant dans des conditions climatiques, voire humaines, très dures, dans les camps de réfugiés de la Hamada, à Tindouf (Algérie) et vivant surtout de l'aide internationale. Les autres, résistant à la politique des forces d'occupation et au black out médiatique, imposé par les autorités marocaines et leurs alliés. Entre les deux drames, une nouvelle génération de jeunes est née dans les campements de réfugiés. Certains Sahraouis, devant les reports successifs de la consultation référendaire, les difficultés de la vie quotidienne et les pressions exercées sur les responsables du Polisario et de la RASD, par les dirigeants algériens et d'autres Etats, ou pour des raisons liées directement à leur déception, ont soit, émigré en Mauritanie dans les pays limitrophes, soit, carrément fait allégeance au roi, espérant retrouver les familles et la patrie ou aller à la rencontre d'une situation « stable » ou du combat à l'intérieur du territoire occupé. La responsabilité des Nations et de l'ancien colonisateur espagnol est grande, parce qu'ils ont laissé faire. La responsabilité du royaume du Maroc l'est également, d'autant que ce pays s'est engagé, notamment en 1988, 1990, 1991 et 1997, à respecter le droit du peuple sahraoui à choisir librement son destin.
La solution pour le rapprochement des peuples marocain et sahraoui, pour la stabilité du Maghreb et pour son intégration dans la nouvelle division internationale du travail existe. Pour peu qu'on encourage les deux parties à se mettre à la même table des discussions. Ce n'est certainement pas les puissances occidentales, les pays observateurs officiels du processus de paix (l'Algérie et la Mauritanie) ou le couple algéro-marocain, qui se substitueront à la décision souveraine des Sahraouis, qui iront négocier à leur place. Ce n'est certainement pas en manigançant pour isoler le Polisario, les autorités de la République sahraouie et même l'Algérie, que l'on parviendra à clore justement le conflit maroco-sahraoui, encore moins à se préserver des instabilités de l'après-guerre irakienne. La balle est aujourd'hui dans le camp de l'ONU et…surtout dans le camp qui revendique la légalité internationale.

Hafida Ameyar


Interview 1: Haissan Abba se confie aux Débats

 

« Rien se fera sans le consentement des Sahraouis »

 

Dans l'entretien qui suit, le secrétaire général de l'Union des juristes sahraouis (UJS), Salek El Haissan Abba, abordera plusieurs sujets d'actualité. Les questions qui touchent aux arrestations, emprisonnements et autres atteintes des droits de l'homme dans les territoires sahraouis sous occupation marocaine, à la situation du peuple sahraoui et à l'avenir du dossier de décolonisation y sont, en effet, approchées. Mais, l'interviewé ne s'arrêtera pas là, puisqu'il aura à répondre sur la dernière sortie du général Khaled Nezzar, l'intervention de la coalition anglo-américaine en Irak et la problématique actuelle du terrorisme.

J'ai appris que plusieurs associations, dont la vôtre, font état d'un redéploiement de la politique répressive marocaine envers les militants sahraouis des droits de l'homme. Qu'en est-il exactement ?

Le Maroc, c'est connu, est très peu indulgent avec ses opposants. Il offre un terrain de choix dans le domaine des droits de l'homme, des droits bafoués aussi bien sur le territoire marocain que dans les territoires occupés du Sahara occidental. Les autorités d'occupation ont érigé, dans les territoires occupés, la terreur en principe d'Etat et continuent de violer, en toute impunité, les conventions relatives aux droits de l'homme. Le système répressif marocain est appliqué dans toute sa rigueur, contre les citoyens sahraouis, transgressant ainsi tous les principes du droit international. Les tentatives du régime marocain, qui n'avait pas lésiné sur les moyens, pour exterminer la population sahraouie, au moment de son exil, ne constituent-elles pas, selon vous, une des plus graves violations des droits de l'homme, jamais enregistrées ?

Comment se présente concrètement la situation ?

Je considère que la prise en otage d'une partie de la population, qui est derrière les murs de défense, est une violation grave. Que dire, alors, des traitements inhumains et dégradants qui sont infligés aux défenseurs sahraouis ? Le cas de Ali Salem Tamek, prisonnier politique sahraoui, en est la parfaite illustration. Le Maroc vient d'interdire récemment à une délégation de familles des disparus sahraouis du territoire occupé, de se rendre à Genève, pour prendre part aux travaux de la Commission des droits de l'homme des Nations unies. Parce que l'expérience a démontré que seule la pression internationale est à même de faire avancer le respect des droits humains au Sahara occidental. L'action de plusieurs ONG (organisations non gouvernementales, ndlr), ainsi que celle des juristes avait permis, dans le passé, la libération de plusieurs sahraouis, qui se trouvaient dans les innombrables mouroirs du Royaume. Nous espérons que l'initiative prise, ces jours-ci, à Genève, par les familles des disparus, en collaboration avec des ONG de défense des droits de l'homme, puisse contribuer à la libération de tous autres les détenus et disparus sahraouis.

Depuis l'instauration du cessez-le-feu, la question des droits de l'homme et de leurs atteintes occupent le devant de la scène. Marocains et Sahraouis brandissent cette carte, pour défendre, chacun de son côté, sa position…

Depuis l'instauration du cessez-le-feu, en septembre 1991, on constate la dégradation de la situation des droits de l'homme dans les territoires occupés du Sahara occidental. C'est pourquoi, de nombreuses ONG, notamment les ONG internationales, dénoncent ces graves atteintes, qui sont exercées contre la population sahraouie, sans défense. Ce n'est que tardivement que le Maroc s'est souvenu de l'existence de ses prisonniers de guerre, qu'il essaie, aujourd'hui, d'instrumentaliser. Je rappelle qu'en 1989, lorsque le Front Polisario a libéré 200 prisonniers de guerre marocains, le Maroc a refusé leur rapatriement, dans leur propre pays, sous prétexte qu'ils n'existaient pas. Il a fallu l'intervention, en 1995, des Etats Unis et de l'Argentine, pour que les premiers prisonniers marocains regagnent leur patrie. Aujourd'hui, le Polisario a libéré au total plus d'un millier de guerre marocains. Il a été et demeure toujours possible pour les observateurs, le CICR, les simples visiteurs, de rencontrer les prisonniers de guerre marocains, qui établissent des correspondances régulières avec leurs familles. Du côté marocain, aucune information n'a été hélas ! fournie sur les 151 prisonniers de guerre sahraouis, auxquels s'ajoutent les disparus sahraouis, dont le nombre dépasse les 500.

Comment régler, selon vous, la question des prisonniers et des disparus, de part et d'autre ?

A mon avis, le meilleur moyen pour mettre fin à cette situation, consiste à lui trouver une solution globale, qui passerait, entre autre, par l'échange de prisonniers de guerre, la libération de tous les détenus politiques et aussi lever la lumière sur le sort de toutes les personnes portées disparues.

Revenons, si voulez bien à 1991. Quel a été l'impact du cessez-le-feu sur le Polisario, les institutions de la RASD, la population sahraouie des campements de réfugiés et celle du territoire sous occupation marocaine ?

L'une des conséquences positives du cessez-le-feu, c'est que celui-ci a permis d'éviter de faire couler plus de sang. Sur un autre plan, il a permis aussi aux autorités sahraouies de s'intéresser davantage aux institutions de l'Etat, par le renforcement des structures existantes et la création de nouveaux mécanismes, permettant une meilleure participation à la gestion de la vie publique. De son côté, le Maroc s'est trouvé, il faut le reconnaître, à l'abri des attaques des combattants de l'armée sahraouie, ce qui lui a permis de d'exploiter les ressources naturelles du Sahara occidental, la pèche et le phosphate, principalement, tout en diminuant son budget militaire au Sahara. Cette nouvelle donne a poussé le Maroc à tergiverser et à recourir, beaucoup plus, aux manoeuvres, à essayer de gagner du temps, en entravant le bon déroulement du processus de plan de paix de l'ONU/OUA. C'est pourquoi, de nombreux Sahraouis pensent que le cessez-le-feu était une erreur et appellent à la reprise des armes, seule langage que le régime du Maroc comprend apparemment.

Certaines analyses laissent entendre que les Sahraouis sont pris au piège, que leur avenir dépendra du couple Algérie-Maroc, ainsi que des calculs géopolitiques et géostratégiques des puissants du monde. Partagez-vous cet avis ?

La question sahraouie est une question de décolonisation qui n'est pas achevée. Elle ne date pas d'hier. Cela fait bientôt trente années que le peuple sahraoui lutte pour la réalisation de ses aspirations légitimes, pour vivre en paix et exercer pleinement son droit à l'autodétermination, conformément à la légalité internationale. Malgré, les grands changements qui se sont produits à travers le monde (fin de la Guerre froide, globalisation, anti-globalisation, nouvel ordre mondial, etc..), la question sahraouie continue d'être présente, parce que derrière elle, tout un peuple est engagé pour faire prévaloir ses droits, mais grâce aussi au large soutien dont elle bénéficie, à travers le monde. Les analystes dont vous parlez oublient une chose fondamentale : rien ne pourra se faire sans le consentement du peuple sahraoui. Si dans le passé, on n'a pas pu imposer une telle démarche, je doute fort que cela puisse être le cas aujourd'hui…

Pensez-vous que l'Algérie puisse changer d'attitude vis-à-vis des Sahraouis ?

Je ne crois pas que l'Algérie puisse tourner le dos au peuple sahraoui et cesser de défendre les principes qui sont toujours les siennes, à savoir le respect de la légalité internationale et celui de la libre détermination de tous les peuples du monde. Pour revenir au rapport algéro-marocain, je considère que tout rapprochement est souhaitable surtout dans cette période, car il y va de l'intérêt des peuples du Maghreb, y compris du peuple sahraoui. Il y a même urgence, pour les pays du Maghreb, de se souder, pour pouvoir relever les défis qui nous guettent et pour construire un espace commun, qui apporterait la prospérité et le bien être de tous les peuples de la région.
Quant aux considérations géopolitiques et géostratégiques dont vous parliez, il est clair que le seul moyen qui nous permettrait d'y échapper est celui de nous unir et de nous entraider. Aucun des pays de la région du Maghreb n'est à l'abri de ces visées.

Ce qu'on ne dit pas assez, c'est que la direction nationale du Front Polisario, les institutions de la RASD et une partie des réfugiés sahraouis, se trouvent à Tindouf, c'est-à-dire en Algérie. En quoi cette situation est contraignante pour la partie sahraouie ?

L'invasion, en 1975, du Sahara Occidental par le Maroc a pris la forme d'un génocide et d'une extermination. L'armée marocaine a utilisé toutes sortes d'armements, y compris le napalm et le phosphore blanc, qui sont pourtant interdits. Il y a des témoignages accablants sur cette période de sinistre mémoire. Depuis cette date, les réfugies sahraouis ont trouvé une terre d'accueil en Algérie. Ces campements de réfugiés sont la conséquence directe de cette guerre et notre exil, qui dure depuis longtemps, est dû en grande partie à la complaisance de l'ONU, qui n'agit pas fermement, pour faire respecter ses propres résolutions. Il y a aussi le mur de défense, construit par le Maroc, dans les années 80, qui accentue davantage la division des familles sahraouies et qui nous rappelle cette triste réalité… Le peuple sahraoui n'oubliera jamais l'hospitalité agissante de l'Algérie, désormais inscrite dans notre mémoire collective.

Pensez-vous que les Sahraouis seraient prêts à renoncer à leur Etat ?

Je vous dirais d'abord que la République sahraouie est actuellement souveraine sur une partie de son territoire et qu'elle est reconnue par de nombreux pays, à travers le monde. Actuellement, elle assure la vice-présidence de la toute nouvelle Union Africaine. En dépit d'un environnement des plus hostiles et d'un long et douloureux exil, le peuple sahraoui est parvenu à édifier les institutions de son Etat. Pour ce qui est de votre question, je vous répondrais donc que les Sahraouis ne peuvent pas troquer leur Etat, parce qu'il symbolise leur raison d'être et leur avenir. Pour cet Etat, ils ont sacrifié leur vie et enduré souffrances et privations. Les Sahraouis veulent tout simplement l'application du droit international, afin d'exercer, comme les autres peuples, leur droit à l'autodétermination et à l'indépendance.

A la mi-mars, le général en retraite Khaled Nezzar a défendu la thèse du « ni gagnant ni perdant ». Que pensez-vous de sa sortie médiatique ?

Ses déclarations n'engagent que lui, mais sincèrement, nous sentons que ce sont des idées importées de l'extérieur. Bien avant lui, Mme Catherine Lalumière, présidente de la délégation ad hoc du Parlement européen, tentait de nous vendre une solution, qui n'était ni blanche ni noire et qui était forcément grise. Celui qui pense de cette manière oublie une chose importante, que la question sahraouie est une question de tout un peuple et que rien au monde ne fera ébranler sa ferme volonté à défendre ses droits légitimes. Quant à la position de l'Algérie, il n'est plus à démontrer qu'elle est constante, au niveau des instances de l'Etat et également au niveau populaire.

Si je vous demandais de me parler de toutes ces occasions ratées par les Sahraouis, depuis la mise en œuvre du plan de paix, que me répondriez-vous ?

Lorsque les deux parties au conflit ont accepté le plan de règlement et quand le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté la résolution 690, en 1990, il s'est avéré que la partie sahraouie était sérieuse dans son engagement. En effet, en août de cette année, peu avant l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, l'armée marocaine a attaqué les positions sahraouies, détruisant des structures aménagées, à Tifariti, pour préparer le retour des réfugiés. Cependant, notre armée sahraouie n'avait pas répliqué, parce que les autorités sahraouies ne voulaient pas donner le prétexte au Maroc de renier ses engagement. Depuis lors, les Sahraouis s'efforcent à ce qu'un référendum libre ait bel et bien lieu. Ils ont fait tant de concessions, souvent importantes, pour donner une chance à la paix et au retour à la stabilité. Pour ce qui est du Maroc, celui-ci a multiplié les entraves et les provocations, dans le but de renier ses engagements. En fait, aucune occasion véritable ne s'est présentée aux Sahraouis, sinon ils l'auraient saisie.

Les médias étrangers parlent beaucoup, pour ne pas dire exagérément, de l'armée algérienne. Mais ils s'expriment très peu sur l'armée marocaine et pas du tout sur l'armée sahraouie. Savez-vous pourquoi ?

L'Algérie est une puissance régionale, forte de ses ressources naturelles et de ses potentialités humaines. Elle se distingue également par le maintien d'une politique cohérente. Ce qui, évidemment, ne doit pas plaire à tout le monde. C'est pourquoi, elle est souvent attaquée. Quant à l'armée marocaine, on sait qu'elle est financée par des puissances étrangères et le Maroc lui-même est considéré comme leur fidèle allié. De là, on comprend mieux pourquoi on ne parle pas beaucoup de l'armée marocaine. Concernant l'armé sahraouie, on veut faire en sorte qu'elle n'existe pas ou qu'elle n'existe plus, même si les principaux intéressés savent bien de quoi elle est capable. Elle a démontré dans le passé sa compétence, elle continue à le prouver, aujourd'hui, et elle saura jouer son rôle demain.

L'intervention militaire en Irak a pratiquement fait éclater l'ONU, je veux parler de ses missions de paix et de sécurité. Est-il encore possible de la faire revenir sur le chemin du droit international ?

L'agression anglo-américaine est un coup dur pour les Nations unies, encore plus fragilisées par cette action, qui s'est faite en dehors de leur cadre juridique et légale. Mais, il ne faut pas oublier que dans le passé, l'ONU était déjà otage des pressions des Etats-Unis, qui voulaient l'utiliser comme un simple instrument, pour servir leurs propres intérêts. Le camp de la paix a-t-il perdu, parce que les forces anglo-américaines ont gagné leur guerre en Irak ? Poser la question en ces termes, c'est accepter la logique de l'intervention et disqualifier les pays qui s'y sont opposés et qui défendent le droit international. Celui-ci a mis des décennies à s'installer et quels que soient les changements qu'on pourrait lui apporter, il ne peut pas être remplacé par le bon vouloir d'un ou de quelques pays, aussi puissants et efficaces soient-ils. Ce qu'il faut retenir, à mon sens, c'est que des gouvernements, y compris occidentaux, refusent la politique que mène, actuellement, les USA et appellent au respect de la légalité internationale, comme moyen de résolution les conflits. Nous espérons que cette tendance l'emportera, ce qui évitera au monde les horreurs des guerres, la violence et l'injustice.

Depuis le 11 septembre 2001, la question du terrorisme occupe le devant de la scène internationale. Où se situent, selon vous, les risques de dépassements ?

Le terme « terrorisme » vient immédiatement à l'esprit pour qualifier certains actes barbares. Le terrorisme, en général, est loin d'être un phénomène facile à délimiter. Ses initiateurs, Etats puissants ou petits groupes de conspirateurs, peuvent être très divers. Et la question est brouillée, dès lors que des luttes armées légitimes se voient qualifier d'entreprises terroristes par leurs adversaires. Le mieux est de s'entendre sur la ou les définitions de ce concept.

C'est-à-dire ?

Le terrorisme était bien présent, avant le 11 septembre, mais à partir de cette date, il occupe une place plus importante, à l'échelle mondiale, car, cette fois-ci, la grande puissance a été visée. Les Américains pensaient à tort, qu'ils étaient à l'abri des attaques de ce type de fléau. Le coup a été tellement fort que la réaction ne s'est pas faite attendre : la vengeance a pris le dessus… De nombreux peuples subissent de multiples formes de terrorisme, sans qu'on daigne leur rendre justice. Je pense que le combat contre le terrorisme est devenu un moyen, pour certains pays, d'étendre leur hégémonie et tenter d'imposer un nouvel ordre mondial, où seule la voix du plus fort sera entendue. Mais, il faudra compter sur l'opposition de la majorité des peuples et des gouvernements à travers le monde. L'opinion internationale s'est déjà largement mobilisée contre la guerre et pour la paix, la justice et la légalité internationale. C'est un bon signe.

Des associations marocaines qualifient les militants du Polisario de terroristes. Que…

Les autorités marocaines qualifient, c'est vrai, les militants sahraouis des droits de l'homme de terroristes. Ce terme est devenu à la mode, et souvent on l'utilise pour plaire aux Occidentaux. La réalité, bien sûr, est tout autre. Les militants sahraouis agissent pour la défense et le respect des droits humains. Ils travaillent en toute transparence et s'expriment sur l'autodétermination du peuple sahraoui, la libération de tous les détenus politiques, en réclamant le retour des richesses de leur pays, qui sont exploitées illégalement par l'occupant.

Des observateurs n'excluent pas, dans la prochaine étape, la montée des pressions, exercées par le gouvernement marocain, qui pourrait même accuser l'Algérie d'être un sanctuaire d'une « organisation terroriste », appelée le Front Polisario. Croyez à une telle hypothèse ?

Soyons sérieux ! A qui le Maroc prétend-il vendre une telle allégation ? A ses amis ? Ils savent que le Front Polisario a toujours agi, en tant que mouvement de libération, en conformité avec la légalité internationale. En tant que tel, le Polisario est en droit d'user de la lutte armée pour libérer son territoire. Le mouvement national sahraoui n'a jamais utilisé des actes pouvant être interprétés comme des actes de terrorisme.

Peut-on parler, aujourd'hui, d'un changement dans le regard porté sur les mouvements d'indépendance et sur les anciens pays colonisés ?

La réalité est qu'il y a, de moins en moins, de mouvements de libération nationale. Souvent, ces derniers ont des difficultés énormes, pour faire prévaloir leurs droits légitimes. Ils n'ont pas toujours le soutien suffisant pour atteindre leurs buts… Quant aux pays anciennement colonisés, ils connaissent des difficultés politiques, économiques et sociales, souvent graves. On sait que la majorité de ces pays se trouvent endettés, subissent l'effet de la mondialisation et n'ont pas encore su créer le cadre adéquat, pour défendre leurs intérêts communs. Au contraire, ils sont souvent divisés et arrivent même à s'affronter, ce qui allonge la liste des conflits. Il est à espérer que les pays du Tiers-monde prennent conscience de cette réalité et oeuvrent, ensemble, pour la construction d'un véritable espace de coopération et de développement.

Deux échéances attendent le peuple sahraoui, les 19 et 20 mai. Qu'avez-vous à nous dire là-dessus ?

Le secrétaire général de l'ONU va présenter son rapport au Conseil de sécurité, en mai prochain. Une fois de plus, nous avons l'espoir que ses conclusions et ses recommandations iront dans le sens de la sauvegarde de nos droits, à l'autodétermination et contribuer, dans le même temps, à instaurer la paix et la stabilité dans la région. A mon avis, il est indispensable que la communauté internationale s'engage davantage dans la recherche d'une solution juste et définitive de la question du Sahara occidental. Il faut aussi que les Sahraouis se mobilisent plus. La célébration du 30ème anniversaire de la lutte armée, le 20 mai prochain, pourrait être une occasion de faire le bilan de ces trente années de lutte et de consolider l'union de tous les Sahraouis, autour de leur juste cause. Par ailleurs, la tenue du 11ème Congrès du Front Polisario, en septembre 2003, sera également l'occasion d'élaborer la stratégie appropriée, pour permettre à notre peuple d'atteindre ses objectifs et faire échouer les manoeuvres dilatoires du régime du Maroc.

Entretien réalisé par Z'hor Chérief


Interview 2 : Emmanuel Martinoli à propos du conflit maroco-sahraoui

 

« La solution viendra de la négociation »

 

Emmanuel Martinoli s'est engagé depuis très longtemps dans le mouvement tiers-mondiste et a eu l'occasion de visiter les camps de réfugiés sahraouis, dès 1976. « De là, date mon engagement en faveur de ce peuple et de son droit à l'autodétermination », nous a-t-il révélé récemment. Emmanuel est membre du comité suisse de soutien au peuple sahraoui et collabore, depuis 1995, au site Internet de l'Association pour un référendum libre et régulier au Sahara occidental (arso).

Vous suivez de très près le problème du Sahara occidental. Comment voyez-vous l'avenir du peuple sahraoui ?

L'avenir du peuple sahraoui ? Je souhaite le voir dans un Etat sahraoui indépendant, souverain, démocratique et intégré dans l'ensemble régional maghrébin. Un Etat dans lequel la population pourrait gérer ses richesses naturelles, qui permettraient d'assurer un niveau de vie décent à toutes et à tous. C'est une vision utopique aujourd'hui, j'en conviens. De façon plus réaliste, je souhaite que les citoyennes et les citoyens sahraouis puissent se prononcer librement sur leur avenir, exprimer leur choix et l'assumer. C'est cela l'autodétermination, garantie par le droit international.

Et, que vous inspirent les derniers événements et positions des différentes parties ?

Le plan de paix de l'ONU a échoué. Baker tente de lui trouver des alternatives, il avance des propositions d'autonomie. On a évoqué une partition du territoire. Il est clair qu'une solution imposée, venue du dehors, ne peut être viable. La solution ne peut que naître de la négociation entre les parties impliquées. Or, c'est justement ce qui fait défaut. Mais, comment amener Marocains et Sahraouis à la même table, dans le contexte actuel ? Cela me paraît difficile, je l'avoue, et je n'ai pas de solution à proposer. Le Maroc ne semble pas du tout motivé, le temps travaille malheureusement en sa faveur.

Le 19 mai prochain, Kofi Annan remettra son rapport au Conseil de sécurité. Croyez-vous que cette instance est prête à examiner ce dossier ? Quels pourraient être, selon vous, les scénarios envisageables ?

Les parties et les Etats observateurs viennent de rendre leurs réponses aux propositions de James Baker. On ne connaît ni le contenu de ces propositions ni les réponses. Il y a bien eu quelques fuites, qui permettent de savoir que Baker reprend en gros son premier projet : une phase préalable d'autonomie du Sahara Occidental, ensuite référendum d'autodétermination. Baker II créerait une autorité du Sahara Occidental, élue par le corps électoral sahraoui, compétente pour tout ce qui touche à la gestion interne du territoire. Après cinq ans, se tiendrait le référendum avec la participation de colons marocains.
En ce qui concerne les réactions des deux parties, nous en sommes aux supputations. Il faudra attendre le prochain rapport du Secrétaire général, le 19 mai, pour en savoir plus. Kofi Annan prendra acte des réponses et demandera une nouvelle prolongation du mandat de la Minurso (mission des Nations unies chargée d'organiser un référendum au Sahara occidental, ndlr), pour les examiner et les discuter. On en reparlera dans six mois.
Il y a un élément nouveau, dont il faut tenir compte : la présence de pétrole off shore au Sahara Occidental. Cette richesse attire déjà les grands carnassiers, américains et français. Elle va rendre plus difficile encore une solution.
En attendant, on peut tenter d'esquisser divers scénarios, au cas où l'ONU prendrait vraiment une décision et trouverait les moyens de la mettre en oeuvre…

Et qui sont ?

1. L'application d'un plan Baker II, modifié après discussions et négociations entre les parties &endash; pour le Front Polisario, une longue période d'autonomie avant le référendum et une participation massive des colons marocains au vote ne sont pas acceptables.

2. La prise en charge du territoire par l'ONU, qui organiserait le référendum dans les plus brefs délais. Il s'agit d'un processus de décolonisation, ne l'oublions pas. Cette mesure aurait dû être appliquée depuis le début. Mais, l'ONU n'en a pas les moyens, aujourd'hui encore moins qu'hier, malheureusement.

Dans les deux cas, l'obstacle, c'est la position du Royaume. Le Maroc, bien qu'ayant accepté le plan de paix et les accords de Houston, ne veut plus du référendum. Mais, le Maroc n'est pas immuable. Il y a des Marocains favorables à l'exercice du droit à l'autodétermination sahraouie et il existe au Maroc des facteurs politico sociaux, sources d'instabilité.

3. L'ONU reporte encore une fois toute décision. C'est la poursuite du pourrissement, avec des conséquences de plus en plus délétères pour les populations réfugiées.

Pensez-vous que la position algérienne officielle a changé, concernant ce dossier ? Sinon où se situent les évolutions du côté algérien ?

J'ai constaté une évolution dans la position officielle algérienne, puisqu'on est passé, au plan politique, du soutien à la République sahraouie à celui d'une solution onusienne. Pour l'Algérie, le problème est maintenant aux mains de l'ONU. Mais, tout le monde ne partage pas cette analyse. Les récentes déclarations du général Nezzar montrent l'existence de diverses tendances. Les partisans d'un « lâchage » des Sahraouis sont présents, jusqu'au plus haut niveau de l'Etat. Et tout pouvoir étatique agit selon ses intérêts propres, même si l'Etat algérien se réfère, constamment, à sa tradition de solidarité internationale. Je crains que si ses propres intérêts deviennent prééminents, le gouvernement algérien n'hésitera pas à sacrifier ceux du peuple sahraoui. Pour l'instant et depuis longtemps, il soutient matériellement les Sahraouis, de façon extraordinaire, ce que je ne veux pas oublier de souligner.

Que compte entreprendre votre association dans les jours ou les mois à venir ?

L'ARSO (*) va poursuivre ses activités dans le domaine de l'information, parce que nous estimons que cela reste une tâche importante. Le conflit du Sahara n'est pas médiatisé, et dans le contexte international actuel, il est pratiquement oublié.

Entretien réalisé par Z'hor Chérief

(*) Site Web de arso : http://www.arso.org


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