ABC (Espagne) Mercredi 27 février 2002

Abdelaziz : " Si le plan de l'ONU échoue, il n'y aura plus d'autre solution que la guerre "

Abdelaziz: «Si fracasa el plan de la ONU, no quedará más solución que la guerra», entrevista de Mohamed Abdelaziz, Esteban Villarejo, ABC, Madrid, 27.02.02.

(Traduit par Martine de Froberville, président du Comité sur le Sahara Occidental et auteur de « Sahara Occidental, la confiance perdue˜L'impartialité de l'ONU à l'épreuve » L'Harmattan 1996)

Esteban Villarejo, envoyé spécial

Une nouvelle aube point lentement derrière la poussière du désert à Rabouni, où le président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), Mohamed Abdelaziz, a installé le siège de sa présidence depuis 1976. Le 27 février de cette année-là, le Front Polisario a proclamé son indépendance dans les territoires libérés de Bir Lelne * et, 26 années plus tard, il s'entretient avec ABC.

Tindouf (Algérie) - Aujourd'hui, 26 ans plus tard, le peuple sahraoui demeure dans l'implacable désert de son exil en territoire algérien, prés de la ville de Tindouf. Mais comme beaucoup de ses compatriotes disent dans les wilayas ou camps de réfugiés de Smara, El Ayoun ou Dakhla, " les clefs de nos maisons au Sahara Occidental sont bien gardées ", Mohamed Abdelaziz, en uniforme kaki mais avec des manières de diplomate, nous accueille d'un " la paix soit avec vous " et avec un thé. La tradition et l'hospitalité demeurent intactes dans les sables du désert, même si le règlement du conflit sahraoui après des années de grand espoir semble interminable.

Le plan de l'ONU

-Le gouvernement de la RASD acceptera-t-il une éventuelle proposition de partition du territoire du Sahara Occidental ?

-S'agissant des quatre solutions éventuelles que l'ONU a proposées dans son dernier rapport et qui considère comme prioritaire l'organisation du référendum, nous, nous insistons sur la nécessité que le peuple sahraoui soit consulté sur son avenir. Le référendum est notre option privilégiée. Sur ce dernier rapport, le gouvernement de la RASD a des motifs de satisfaction, non seulement parce que le référendum y figure comme la première option pour parvenir à une solution pacifique du conflit, mais aussi parce que ce rapport reconnaît, pour la première fois au bout de onze années, la difficulté d'obtenir un accord en raison de l'attitude marocaine. Nous en avons un exemple dans les récents contrats signés par le Maroc avec deux compagnies pétrolières, Kerr McGee des États-Unis et TotalFinaElf de France, pour l'exploration pétrolière du sous-sol sahraoui. Comment cela peut-il être admissible si le Maroc n'a pas de pouvoir d'administration sur le Sahara ?

- Et si l'on n'aboutit pas à une solution, pensez-vous l'obtenir par les armes ?

- Nous aspirons au règlement pacifique du conflit. En outre une guerre signifierait un échec complet de l'ONU dans la région, qui perdrait ainsi toute crédibilité et laisserait un foyer d'instabilité et d'insécurité au Maghreb. Eh oui, si l'ONU échoue, il en résultera un vide de pouvoir auquel se substituera malheureusement la guerre.

- Le Front Polisario a-t-il la capacité de reprendre les armes ?

- Par n'importe quels moyens, nous le ferions, bien que notre préférence aille au règlement pacifique par le biais du référendum.

- Quel doit être le rôle de l'Union européenne au Sahara ?

-La responsabilité de l'UE est très grande dans cette zone si proche de son territoire. L'Europe doit jouer un rôle beaucoup plus déterminant. Si le conflit sahraoui ne se règle pas, l'insécurité au Maghreb augmentera. L'UE doit tenir compte du conflit sahraoui et de la violation des droits d'un peuple depuis plus de 25 ans. Pourquoi continue-t-elle à signer des accords avec le Maroc, un pays qui a violé toutes les résolutions des Nations unies, comme le souligne le département juridique de cette organisation ? Cette coopération avec le Maroc doit être reconsidérée par l'UE et mettre un terme à l'expansion du Maroc dans notre pays, le Sahara Ocidental. Les six prochains mois, sous présidence espagnole de l'UE, sont cruciaux pour essayer de nous rapprocher du règlement du conflit.

Rabat contre Madrid

- Le problème de la sécurité dans la zone existe néanmoins...

- Tant qu'il n'y aura pas respect du droit international, respect des décisions de la Cour internationale de justice et un processus de démocratisation au Maroc, l'on ne résoudra ni le problème du Sahara ni, par voie de conséquence, le problème de la stabilité.

- Quelle analyse de la crise diplomatique entre le Maroc et l'Espagne ?

- Le dernier événement, le rappel de l'ambassadeur marocain à Madrid, n'est rien de plus qu'un échelon supplémentaire de la politique de chantage que le Maroc mène à l'égard de l'Espagne depuis la Marche verte de 1975. Une politique de chantage que constituent la permissivité des autorités marocaines vis-à-vis de l'immigration illégale, leur passivité face au trafic de drogue à travers le détroit de Gilbraltar, la revendication de Ceuta et Melilla à l'occasion des négociations avec la Grande-Bretagne sur la question du Rocher, les accords de pêche et enfin, le problème de mon peuple, qui apparaît toujours en toile de fond. Comme vous le voyez, la politique de chantage du Maroc à l'égard de l'Espagne n'a pas de limite, même au bout de 26 années.

Le Sahara après le 11 septembre

- Quelle est l'incidence des événements du 11 septembre sur le problème sahraoui ?

- Nous condamnons les attentats et nous proclamons notre solidarité avec le peuple nord-américain, mais nous sommes conscients que le désastre du World trade center a eu des conséquences, toutes néfastes, sur la communauté arabe et musulmane en général. Ces attentats ne peuvent être attribués à la communauté musulmane, mais, en même temps l'on doit en tirer les leçons. L'une d'entre elles est que les victimes sont partout des victimes, à un degré égal. Quid des victimes sahraouies ? Si le Maroc est reconnu comme l'agresseur et à l'origine de la situation que supportent à l'heure actuelle près de 200 000 réfugiés ici à Tindouf, cette injustice, comme celle du 11 septembre, doit être considérée de la même façon. En 1989 le mur de Berlin est tombé. La communauté internationale sait-elle qu'au Sahara il y a un autre mur?

(*)Note de traducteur : il doit s'agir de Bir Lahlou où fut proclamée la RASD, le 27 février 1976


[Communicados, cartas, Documentos...] - [HOME]