ORIGINAL ENGLISH [traduction littérale par arso]
Président de
la
République d'Afrique du Sud
1er août 2004
Sa
Majesté le Roi Mohamed VI
Rabat
Royaume du Maroc.
Votre Majesté,
J'ai l'honneur de vous transmettre les salutations de notre gouvernement et les miennes propres, aunsi bien que certains de nos points de vues au sujet du conflit du Sahara Occidental.
Votre majesté se souvient qu'il y a des années notre président d'alors, Nelson Mandela, avait annoncé la décision de notre gouvernement de reconnaître et d'établir des relations diplomatiques avec la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) en conformité avec des décisions antérieures de l'OUA que notre pays a rejoint en 1994.
Votre défunt père, sa majesté le Roi Hassan II, avait demandé au Président Mandela de ne pas exécuter cette décision. Le Secrétaire général des Nations Unies d'alors, Botrus Botrus Ghali, et d'autres leaders mondiaux avaient fait parvenir une demande semblable au président Mandela.
Ce même point de vue nous avait été communiqué lorsque nous avons accédé à la présidence de notre pays. L'argument avancé était qu'il fallait donner une chance de réussite aux négociations en cours sous les auspices du Conseil de sécurité de l'ONU et du Secrétaire général de l'ONU. On nous a dit que notre reconnaissance de la RASD minerait sérieusement ces négociations en cours.
Nous avons respecté et estimé les points de vues exprimés par le roi et le gouvernement du Maroc, des chefs d'autres pays avec lesquels nous entretenons des relations amicales et les Nations Unies.
Par conséquent, 10 ans après avoir réalisé notre libération nous n'avons toujours pas reconnu la RASD, en dépit de pressions soutenues de la part du Front Polisario et de quelques Etats membres de l'OUA, et maintenant de l'UA, nous demandant de respecter la décision de l'OUA et de l'UA de reconnaître la RASD.
Pendant cette période, nous avons sans cesse cherché à persuader le Front Polisario de faire au mieux pour contribuer à l'aboutissement des négociations menées par l'ONU, conformément aux décisions de l'ONU, y compris le "Plan de paix pour l'autodétermination du peuple du Sahara Occidental".
Nous avons régulièrement informé la direction du Front Polisario de notre détermination à prêter attention aux avis et aux demandes des chefs d'Etats dont nous avons apprécié les avis. Nous n'avons pas caché le fait que ceux-ci s'étaient exprimés contre la reconnaissance de la RASD.
Nous avons indiqué au Front Polisario que nous étions convaincus que notre respect de cette consigne était la meilleure contribution que nous pouvions apporter pour le succès du plan de paix et d'autres propositions qui mèneraient à la tenue d'un référendum donnant au peuple du Sahara Occidental la possibilité d'exercer son droit à l'autodétermination.
Nous avons donc été gravement troublés de lire le rapport du 23 avril 2004 du Secrétaire général de l'ONU M. Kofi Annan sur le Sahara Occidental, dans lequel il a dit :
" à mon avis tout comme de l'avis de mon Envoyé personnel, la réponse finale du Maroc au Plan de paix exigerait que les parties concernées acceptent de négocier un règlement de la question du Sahara occidental, fondé sur " l'autonomie dans le cadre de la souveraineté marocaine ". Le problème de la souveraineté est de toute évidence le problème fondamental qui a divisé les parties pendant toutes ces années. Le Maroc n'accepte pas le Plan de règlement auquel il avait souscrit pendant de nombreuses années. Il convient de rappeler que si le Maroc avait accepté le projet d'accord-cadre, il rejette l'examen de toute proposition tendant à diviser le Territoire et il n'accepte pas non plus maintenant les éléments essentiels du Plan de paix.". (c'est moi qui souligne)
Naturellement, à cet égard, nous avons également pris connaissance en particulier de la réponse du royaume du Maroc du 09 avril 2004 à la proposition de l'Envoyé personnel du sécrétaire général de l'ONU d'alors, M. James Baker, intitulé "Plan de paix pour l'autodétermination du Sahara Occidental", telle que communiquée par votre ministre des affaires étrangères et de la coopération, M. Mohamed Benaissa.
Comme votre majesté le sait, cette réponse apporte les affirmations catégoriques suivantes:
"en conséquence, et pour autant que le royaume est concerné, le caractère définitif de la solution d'autonomie n'est pas négociable pour le Royaume.
"Par ailleurs, la solution d'autonomie, agréée par les parties et approuvée par la population, exclut, par définition, la présentation à celle-ci, de l'option de l'indépendance. Il n'est donc pas question pour le Maroc d'entamer des négociations avec quiconque sur sa souveraineté et l'intégrité de son territoire".
Majesté, vous vous rendez compte du fait que quand le SG de l'ONU Kofi Annan dans ses commentaires de la réponse de votre gouvernement indique que "Or, si la réponse finale du Maroc au Plan de paix dénote une volonté de poursuivre l'action menée en vue de parvenir à un règlement politique du conflit, elle indique aussi sans équivoque qu'une " solution politique d'autonomie ne peut être que définitive ", ce qui a des incidences néfastes sur l'autodétermination, telle que prévue dans la résolution 1429 (2002)".
Vous êtes assurément aussi au courant de la résolution 1541 (2004) du Conseil de sécurité de l'ONU qui a été adoptée à l'unanimité par le Conseil de sécurité, suite à l'examen du rapport du SG de l'ONU du 23 avril 2004.
Dans cette résolution, le Conseil de sécurité a réitéré son engagement à aider "à parvenir à un règlement politique juste, durable et mutuellement acceptable qui permette l'autodétermination du peuple du Sahara occidental dans le cadre d'arrangements conformes aux buts et principes énoncés dans la Charte des Nations Unies".
Nous sommes entièrement d'accord avec le Conseil de sécurité que la question du Sahara Occidental doit être résolue sur la base de cet engagement.
Depuis 1985, quand le sécrétaire général des Nations Unies, en coopération avec l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA), a mis sur pied une mission de bons offices menant "aux propositions de règlement", qui ont été approuvées par le Conseil de sécurité en 1990, l'Afrique et le reste de la communauté internationale ont cherché une solution qui donnerait au peuple du Sahara Occidental la possibilité de choisir librement entre l'indépendance et l'intégration au Maroc.
Par conséquent, quand nous avons reporté la reconnaissance de la RASD c'était dans l'idée que tous deux, le Maroc et le Front Polisario, travailleraient avec le SG de l'ONU et le Conseil de sécurité pour se mettre d'accord sur les modalités d'un processus qui permettrait au peuple du Sahara Occidental d'exercer son droit à l'autodétermination, d'une manière conforme aux principes et aux buts de la Charte des Nations Unies et des documents pertinents de l'OUA et de l'UA.
Cependant, la réponse au plan de paix de l'ONU du gouvernement du Maroc datée du 9 avril cherche sans équivoque à priver le peuple du Sahara Occidental de son droit à l'autodétermination, en contradiction avec le droit international fondamental et inviolable et des engagements antérieurs solennels pris par le gouvernement du Maroc.
En ce qui concerne cette dernière considération , je suis convaincu que le SG de l'ONU et son Envoyé personnel concluent avec justesse que le Maroc n'accepte pas le plan de règlement auquel il avait adhéré il y a de nombreuses années, et que maintenant il n'accepte également pas des éléments essentiels du plan de paix.
La réponse du 9 Avril de votre gouvernement avance que les paramètres d'une "autodétermination" telle qu'elle pourrait être exercée par le peuple du Sahara Occidental devraient être fixés par le gouvernement du Maroc. Votre gouvernement définit alors ces paramètres comme une solution d'autonomie qui excluerait que l'option d'indépendance soit soumise à la population du Sahara Occidental.
Vous devez convenir, Majesté, que ceci constitue une tentative non déguisée de nier le droit à l'autodétermination lui-même que l'ONU de par sa Charte est tenue de défendre et de faire progresser, et dont elle cherche depuis presque deux décennies à faire bénéficier le peuple sahraoui.
Nous avons exprimé dans le passé notre profonde et claire reconnaissance de l'importante contribution que le Maroc a apporté à notre propre lutte pour l'autodétermination, dans le contexte spécifique de la lutte contre l'apartheid dans notre pays. Ceci a créé une base solide pour le développement des relations d'amitié et de solidarité que nos deux pays ont cherché à établir avec succès depuis notre libération en 1994.
À cet égard, nous avons regretté et continuons de regretter le fait que, en raison de la question non résolue du Sahara Occidental, le Maroc n'est pas à même de jouer le rôle qui lui revient pour le renouveau de notre continent en tant que membre plein et actif de l'OUA et de l'UA.
De même, en ce qui concerne la question similaire, non résolue et importante de la Palestine, nous avons aussi travaillé ensemble sur la base que nos deux pays sont unis dans leur détermination de tout faire ce qui est dans leur pouvoir pour garantir au peuple palestinien l'exercice de son droit à l'autodétermination y compris l'indépendance.
Ces conclusions sont le fruit de l'expérience à laquelle nous avons été confrontés durant les périodes les plus difficiles de notre propre histoire, quand le Roi Mohamed V et Hassan II, les gouvernements et le peuple du Maroc ont adopté et maintenu la position de principe selon laquelle nous et notre peuple devions être soutenus dans l'exercice de notre droit à l'autodétermination.
Nous étions profondément convaincus que même en ce qui concerne le problème du Sahara Occidental, indépendamment de l'histoire de la colonisation de cette partie de l'Afrique, le Maroc resterait fidèle à sa tradition de respect du principe d'autodétermination pour tous les peuples.
Nous avons cru comprendre que le Maroc poursuivait comme objectif central dans les négociations menées par l'ONU d'assurer au peuple du Sahara Occidental son droit à l'autodétermination, sans entrave, tout en se réjouissant de la conviction qu'il déciderait librement de devenir une région du Maroc.
Très regrettablement, la réponse du 9 avril du gouvernement du Maroc à l'Envoyé personnel du SG de l'ONU nous a convaincu que nous nous sommes trompés. Il semble maintenant clair que le Maroc n'a absolument pas l'intention de respecter le droit du peuple du Sahara Occidental à choisit son destin.
Au lieu de cela, il a décidé unilatéralement, sans référence au peuple du Sahara Occidental ni respect pour les avis de l'ONU et de l'UA, que tout le monde est obligé d'accepter une solution "consistant en une autonomie dans le cadre de la souveraineté du Maroc."
Pour expliciter ce point, votre gouvernement est allé plus loin en indiquant que "le caractère définitif de la solution d'autonomie n'est pas négociable". Il n'est donc pas question pour le Maroc d'engager des négociations avec quiconque sur sa souveraineté et son intégrité territoriale.
Mais, de même que dans la question de la Palestine, le problème du Sahara Occidental comporte inéluctablement la question du territoire et de la souveraineté sur ce territoire. Insister pour que ces aspects ne soient pas partie intégrante d'une solution quelqu'elle soit, revient à prétendre qu'aucune solution juste ne doit être recherchée.
Les récents développements nés des décisions de votre gouvernement ne nous permettent plus d'espérer que le report de notre reconnaissance de la RASD est un élément en faveur de ce que le Conseil de sécurité appelle une solution politique, juste, durable et mutuellement acceptable qui permette l'autodétermination du peuple du Sahara Occidental.
L'impasse évitable provoquée par les positions avancées par le gouvernement du Maroc a créé une situation telle que le fait de retarder encore de notre côté la reconnaissance de la RASD se traduirait inévitablement par un abandon de notre soutien au droit du peuple du Sahara Occidental à l'autodétermination.
Pour nous, ne pas reconnaître la RASD dans cette situation c'est devenir un complice de la négation du droit à l'autodétermination du peuple du Sahara Occidental. Cela constituerait une trahison grave et inacceptable de notre propre lutte, de la solidarité que le Maroc nous a apportée, et de notre engagement à respecter la Charte des Nations Unies et l'acte constitutif de l'Union Africaine.
Cela suggérerait également que ce que je viens de dire ne sont que des mots, sans obligation pour nous de respecter de solennels accords internationaux.
Votre majesté se rend également compte du fait que la récente Assemblée de l'Union Africaine a décidé que notre pays allait accueillir le Parlement Panafricain . Le peuple du Sahara Occidental sera appelé à envoyer ses délégués élus à ce parlement, comme représentants du peuple de la RASD.
Il serait clairement insoutenable de refuser à ces délégués l'entrée dans notre pays parce que nous ne les reconnaissons pas en tant que représentants légitimes d'un Etat africain reconnu par l'UA et qui participe à ses travaux comme Etat membre.
Dans sa résolution 1541 (2004), le Conseil de sécurité a décidé "de prolonger le mandat de la Mission des Nations Unies pour le référendum au Sahara occidental (MINURSO) jusqu'au 31 octobre 2004". Ce serait une grande satisfaction pour nous si le répit que donne cette prolongation pouvait finalement servir à conclure des négociations prolongées sur le Sahara Occidental, en accord avec les décisions internationales antérieures qui nous ont donné l'espoir qu'une paix juste était possible.
À la lumière des développements auxquels je me suis référé, nous avons commencé des discussions avec le Front Polisario pour convenir des modalités de l'ouverture de l'ambassade de la République Arabe Sahraouie Démocratique dans notre pays.
En toute équité je dois également informer Votre Majesté qu'en plus, nous continuerons à soutenir l'ONU et les efforts de l'UA visant à permettre au peuple du Sahara Occidental d'exercer son droit à l'autodétermination, en utilisant tous les moyens possibles et légitimes à notre disposition.
En attendant, nous accorderons au Front Polisario tous les droits et privilèges qui sont dus à tout les Etats membres de l'UA afin de remplir nos obligations envers l'UA et les peuples d'Afrique et de fournir un domicile au Parlement Panafricain.
Permettez-moi, Majesté, de profiter de cette communication pour vous remercier sincèrement de votre message de félicitations après la décision du comité directeur de la FIFA d'accepter notre offre d'accueil de la coupe du monde de football 2010 , ainsi que notre conviction que le Maroc aura la même opportunité dans l'avenir.
Veuillez agréer, Majesté, l'assurance de notre plus haute considération.
Thabo
Mbeki
Président de la République d'Afrique du Sud