Algérie - USA : les grandes explications et les petits détails

L’ambassadeur US en Algérie, Robert S. Ford, est un diplomate qui a connu la parenthèse d’un séjour au Maroc, l’expérience de l’Irak de l’après-Saddam, qui a l’habitude des pays du Golfe et qui a « signé » l’initiative Eizenstat, le « plan Marshall » pour le Maghreb.

Extrait de l'interview paru dans le Le Quotidien d’Oran mercredi 6 juin 2007

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Q.O. : Vous avez été un moment au Maroc et vous êtes aujourd’hui en poste en Algérie. A votre avis, dans quel sens évolue le Maghreb et qu’est-ce qu’il y a de neuf dans le regard des Etats-Unis sur le dossier du Sahara Occidental ?

R.S.F. : Pour parler du Maghreb d’abord, la région peut jouer le rôle d’un pont entre l’Occident et le monde arabo-islamique. Culturellement, le processus est déjà en cours. Reste que la région a la capacité d’être un vrai moteur de croissance économique dans le continent africain. De notre point de vue, ce qui empêche un peu cette évolution, c’est que les marchés locaux sont encore trop petits et les entreprises américaines disent qu’investir dans un marché de 33-35 millions de consommateurs est moins intéressant que d’investir dans un marché de 100-200 millions de consommateurs, comme c’est le cas en Asie par exemple.

C’est pour cette raison, et parce que nous voulons que le Maghreb soit fort et stable, que nous avons souhaité l’intégration économique de cette région pour lui permettre d’attirer les investissements et les transferts de technologies étrangères. La décision revient, bien sûr, aux leaders du Maghreb, mais c’est aussi notre conseil. Un conseil qu’a tenté d’incarner en quelque sorte l’initiative de Eizenstat et sur laquelle j’ai travaillé quand j’étais aux Affaires étrangères après avoir quitté l’Algérie durant les années 90.

Reste l’autre question : quoi de neuf avec le Sahara Occidental ? Il est clair que le dossier du Sahara empêche justement cette intégration maghrébine. C’est évident. Nous sommes très heureux que dans la dernière résolution de l’ONU, en avril de cette année, le Conseil de sécurité a demandé aux Marocains et aux Sahraouis de se réunir, de discuter et de négocier. Nous soutenons donc fortement cette approche. Nous pensons qu’il n’y a pas d’autre choix que de mettre les Marocains et le Polisario face à face, dans une même salle de réunion pour des négociations. Cela ne veut pas dire que c’est au Polisario d’accepter tout et tout de suite de ce que leur proposent les Marocains, et c’est la même chose du côté de ces derniers.

Nous parlons de négociations et nous espérons que cette première réunion se tiendra bientôt et c’est à l’ONU de donner un cadre à ces négociations et d’organiser ces rendez-vous. Nous soutenons cependant, et je le répète, cette démarche-là. D’ailleurs, il faut rappeler que nous avons toujours soutenu le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination et nous avons voté, cette fois-ci et encore une fois, pour une résolution qui fait acte du droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. Mais en même temps, nous ne pensons pas que ce conflit doive s’éterniser encore 100 ans. Les réfugiés dans les camps souffrent et il faut donc faire quelque chose et faire avancer le dossier. Rester les bras croisés ne sert ni le peuple sahraoui ni les pays du Maghreb arabe.

Q.O. : Votre collègue ambassadeur a créé une petite polémique en déclarant que le seul représentant du peuple sahraoui était le Polisario, ce qui a provoqué de vives réactions de protestation chez les Marocains. Est-ce vous êtes d’accord avec lui ?

Robert S. Ford : Ce n’est pas du tout aux Américains de dire qui sont les représentants du peuple sahraoui et qui ne le sont pas. C’est une question que doivent trancher les Sahraouis eux-mêmes. Quant à nous Américains, nous avons demandé aux Marocains et au Polisario de négocier et nous espérons vivement que le Polisario et les Marocains acceptent et nous espérons aussi que l’Algérie soutienne cette démarche.

Q.O. : Qu’est-ce que vous pensez de la proposition marocaine ?

R.S.F. : Premièrement, nous avons dit aux autorités marocaines que si elles n’acceptaient pas le plan Baker, il leur incombait de mettre quelque chose sur la table. Mais comme je viens de le dire, rester les bras croisés ne sert à rien. Finalement, les Marocains ont proposé leur propre plan que nous avons étudié et nous avons constaté qu’il y a dedans des choses intéressantes. Il s’agit de quelque chose de sérieux et d’un plan qui peut être crédible. L’autre question est : est-ce que le Polisario doit accepter ce plan dans sa totalité ?. Non. Je précise donc que nous n’avons jamais dit ceci. Pour nous, il faut simplement dire que les deux parties doivent discuter. Est-ce que cela va se terminer bientôt et vite ? Personnellement, j’en doute. Mais qu’ils commencent !
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