Ali Salem Ould Tamek : activiste sahraoui et militant des droits de l'homme
Interview avec l’hebdomadaire mauritanien « Al Alam » du 23.09.06
Original en arabe
Al Alam :
Quelles sont vos revendications en matière de droits de l’homme
et politiques, visées à travers l’Intifada du 21
mai de l’année passée ?
Ali Salem Tamek
: Les revendications des Sahraouis datent du 31 octobre 1975,
et demeurent inchangées depuis cette date,
même si les voies et moyens de les exprimer ont, quant à
eux connu certains changements. Seize années de
guerre larvée, avec leur cortège de morts,
d’assassinats, de tortures, de disparitions forcées n’ont pas
permis aux Sahraouis des territoires occupés et ceux au sud du
Maroc d’exprimer librement leur volonté. La signature, en
septembre 1991 du cessez-le-feu, sous les auspices des Nations
Unies, censé ouvrir la voie, quatre mois
après, à l’organisation d’un
référendum d’autodétermination a ravivé
chez les Sahraouis un immense espoir de réaliser leurs
aspirations à la liberté, à mettre fin
à l’occupation et, jouir enfin de leur indépendance
sur l’ensemble du territoire national.
Mais cet espoir
a été de courte durée, puisqu’une année
seulement après le cessez-le-feu, le Maroc a
dévoilé ses véritables intentions en refusant de
se conformer à la légalité internationale. Par le
reniement de ses engagements et ses revirements, le Maroc avait
surtout misé sur les changements intervenus sur la scène
internationale, notamment l’Algérie en tant qu’allié
stratégique et historique du peuple sahraoui, ainsi que sur le
front intérieur sahraoui dont il espérait la fissure.
C’est à partir de ce moment-là que les masses populaires
des territoires sahraouis et au sud du Maroc ont réalisé
que le temps est venu pour elles d’ouvrir un autre front de
résistance pacifique qui a débuté le 24 septembre
1992 à Assa, au sud du Maroc, et qui a englobé El
Aaiun et Smara occupées. La répression
féroce à laquelle était confrontée la
population sahraouie n’a pas entamé sa volonté de
résistance pacifique, mais a précipité, par contre
l’effondrement du mur de la peur, d’autant plus que le Roi Hassan
II a procédé, un mois après la signature du
cessez-le-feu, à la libération de centaines de Sahraouis
dont le sort était inconnu, et qui ont passé plus de 16
ans dans les sinistres prisons secrètes marocaines, laissant
derrière eux des dizaines de martyrs dont des hommes, des
femmes, le plus souvent des personnes âgées ainsi que des
enfants.
L’Intifada du 21
mai 2005, plus connue chez les Sahraouis sous le nom de
« l’Intifada de l’indépendance » a
été la consécration de la lutte du peuple
sahraoui, des sacrifices qu’il a endurés pendant si longtemps,
et qu’il continue d’endurer aujourd’hui et de sa volonté
inébranlable à combattre l’occupation. Les droits humains
très présents dans ces revendications constituent pour
nous le cadre idoine pour faire valoir nos revendications de
manière pacifique et civilisée, notamment la
liberté d’expression et celle de l’indépendance. En
dépit de la répression indicible qui s’est abattue sur la
population sahraouie, et des multiples tentatives de provocations
visant à l’amener à la confrontation, les
Sahraouis, qui connaissent parfaitement les intentions de
l’ennemi ne sont pas tombés dans son piège et ont
continué d’exprimer ces revendications dans le cadre
légal que confère la loi et le droit international. Le
défi et le combat menés par les masses sahraouies
s’inscrit dans le cadre de celui mené par le Front Populaire
pour la Libération de Saguiet El Hamra et Rio de Oro et la
République Arabe Sahraouie Démocratique, dont nous
arborons régulièrement, lors des manifestations,
les couleurs.
Les
campagnes d’emprisonnements et d’enlèvements, les procès
iniques, les lourdes sentences prononcées à l’encontre
des symboles de l’Intifada n’ont pas empêché ces derniers
d’affronter la politique de l’occupant en transformant les
procès des défenseurs sahraouis en procès du
régime marocain lui-même et de sa politique
expansionniste. Nous avons donc créé une autre
méthode de résistance qui permettra à nos
prisonniers politiques, derrière les enceintes et barreaux des
prisons, de faire entendre partout leurs voix comme ce fut
le cas pour les multiples grèves de la faim dont l’une d’elles a
duré plus de 52 jours.
Aussi, il est utile de souligner que les prisonniers politiques
sahraouis observent depuis septembre dernier une grève de la
faim dans les prisons marocaines, et que les services secrets marocains
ont enlevé le symbole et défenseur sahraoui des
droits humains, Yahdih Terrouzi, le 13 septembre 2006 à Tan Tan,
en raison de ses positions politiques par rapport au conflit du Sahara
Occidental, et essayé de refouler en dehors d’El Aaiun El Haiba
El Mah. Cette Intifada, désormais
généralisée a contribué à briser
l’état de siège imposé par les autorités
d’occupation marocaines sur le Sahara Occidental, ce qui a permis
à des milliers de voix de par le monde, à des
organisations importantes telles Amnesty international, l’organisation
mondiale contre la torture (OMCT) et Front line en Irlande de
dénoncer avec vigueur les violations graves
perpétrées par le régime marocain. L’on
enregistre, également parmi les voix libres à
l’intérieur du Maroc qui se sont élevées pour
dénoncer l’injustice qui sévit au Sahara Occidental,
l’organisation marocaine des droits de l’homme (AMDH), la Voie
démocratique et le journaliste Ali Lmrabet.
Al Alam :
Quelle lecture donnez-vous à la proposition marocaine consistant
à octroyer aux Sahraouis une large autonomie sous la
souveraineté marocaine ?
Ali Salem Tamek
: La proposition faite par le Maroc visant à octroyer aux
Sahraouis une autonomie sous sa souveraineté n’est, en fait pas
une chose nouvelle puisque le régime de Hassan II a, à la
fin des années soixante dix, fait une proposition
dans ce sens, mais plus généreuse ( le Maroc voulait
préserver uniquement le drapeau en guise de signe de
souveraineté), tandis que celle proposée par l’actuel
régime de Mohamed VI n’est rien d’autre qu’une fuite en avant.
Le respect du droit du peuple sahraoui à la libre
détermination, telle que préconisé par les
Nations Unies et entériné par le Conseil de
sécurité, à travers la résolution 1495 qui
a avalisé le Plan James Baker, reste l’unique solution à
même de résoudre de manière définitive le
conflit du Sahara Occidental. Ce Plan , qui a été
accepté par le Front POLISARIO et refusé par le
Maroc, permet pourtant aux colons marocains établis dans
le territoire avant 1999 de participer au référendum
après quatre ans d’autonomie sous souveraineté marocaine.
La conclusion que l’on peut faire à ce sujet est que l’Etat
marocain bénéficie pleinement de la situation actuelle
qui lui permet d’éloigner, autant que faire se peut
l’armée marocaine, de détourner l’attention du peuple
marocain des souffrances réelles vécues au quotidien et
brader tranquillement ses richesses, ce qui pousse la majorité
de Marocains vivant sous le seuil de la pauvreté à
l’émigration clandestine à bord des embarcations de la
mort.
Al Alam
: Comment avez-vous présenté votre situation sur le
plan politique et des droits humains, notamment lors de votre visite
à l’étranger ?
Ali Salem Tamek
: Lors de ma tournée en Europe, qui a coïncidé avec
le début de l’intifada bénie en mai 2005, j’ai
visité plusieurs pays dont l’Espagne, la Belgique, la
Suisse, la France et l’Italie. Cette visite a été
une occasion d’informer l’opinion européenne
et internationale sur l’extrême gravité de la
situation dans les territoires occupés du Sahara
Occidental à travers des témoignages vivants qui
dévoilent les crimes innommables commis, les trente
années écoulées, par le régime
marocain à l’encontre des Sahraouis. C’est ce que j’ai
expliqué au parlement européen, au parlement italien, aux
parlements en Espagne, au Haut Commissariat des Nations Unies aux
droits de l’homme à Genève, à Amnesty
international, à l’organisation mondiale contre la torture, aux
différents partis, syndicats, organisations de jeunes, de
femmes, ainsi qu’aux différents organes de presse dans ces pays.
Depuis le début de cette tournée, je n’ai pas
cessé un seul instant de défendre le droit
imprescriptible du peuple sahraoui à l’autodétermination
et à l’indépendance et à informer mes
interlocuteurs sur la gravité de la situation dans les
territoires occupés du Sahara Occidental et au sud du
Maroc. Bien que je ne sois coupable d’aucun crime, excepté
le fait d’exprimer et de défendre mes convictions,
j’étais sûr d’être emprisonné dès mon
retour, chose qui se concrétisa avant même ma descente de
l’avion à El Aiun ou un dispositif sécuritaire et
un impressionnant déploiement militaire étaient
déjà mis sur place.
Al Alam
: Une mission du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de
l’homme a rendu dernièrement visite au Sahara Occidental, la
première du genre depuis le début du conflit.
Avez-vous pu rencontrer cette mission et lui exposer vos
problèmes ?
Ali Salem Tamek :
La visite de la mission du Haut Commissariat des Nations Unies aux
droits de l’homme, en mai 2006 fait suite à une recommandation
du Secrétaire général de l’ONU et à
l’adoption, en avril 2006 par le Conseil de
sécurité d’une nouvelle résolution sur le conflit
du Sahara Occidental. Les discussions du Conseil de
sécurité avaient porté, notamment sur la
persistance des violations des droits de l’homme au Sahara Occidental
et sur la répression par l’administration marocaine des
manifestants sahraouis comme l’a souligné le Secrétaire
général dans son dernier rapport. Cette mission,
qui avait pour but de s’informer sur la situation et de
présenter un rapport à l’ONU, a été non
seulement écourtée mais ses déplacements ont
été très réduits. Son arrivée
à El Aaiun a coïncidé avec des manifestations
qui se sont déclenchées à Hassi Mattala, et
qui ont été fortement réprimées. Plusieurs
citoyens sahraouis, dont Mohamed Boutabaa, grièvement
blessé, ont été jetés dans les prisons. En
dépit des entraves érigées devant le travail de
cette mission, nous avions pu entrer en contact avec ses membres et
leur communiquer toutes les informations relatives aux crimes
commis par le régime marocain, que nous considérons
comme étant des crimes contre l’humanité.
Al Alam
: Les Sahraouis considèrent-ils toujours le Front
POLISARIO comme leur représentant légitime et unique ou
les choses ont-elles changé après la désignation
par le roi du Maroc du Conseil royal consultatif pour les affaires
sahariennes ?
Ali Salem Tamek
: Dans leur diversité , les Sahraouis considèrent le
Front POLISARIO comme étant l’unique et légitime
représentant du peuple sahraoui, et c’est le cas aussi
pour les Nations Unies et le Conseil de sécurité pour
lesquels les deux parties au conflit sont le Front POLISARIO et
le Royaume du Maroc. Le prétendu Conseil consultatif pour
les affaires sahariennes, désigné récemment par
Mohamed VI, n’est qu’un remake de la proposition faite par
Hassan II en 1981 et une mascarade vouée à
l’échec. Il est indéniable que le Front POLISARIO
demeure le représentant légitime et unique du peuple
sahraoui qui, en son nom mènera le combat jusqu’à
l’exercice par celui-ci de son droit à
l’autodétermination.
Al Alam : Comment évaluez-vous l’aide de l’Algérie à la cause sahraouie ?
Ali Salem Tamek
: L’Algérie a ouvert généreusement ses
frontières et accueilli sur son territoire des milliers de
réfugiés contraints, en 1975 à un exil
forcé du fait des tentatives marocaines visant à les
annihiler au moyen de bombardements massifs, et avec l’emploi notamment
d’armes prohibées telles le napalm et le phosphore blanc. Le
peuple sahraoui sera toujours reconnaissant au soutien de principe
apporté par l’Algérie à sa juste cause. Le Maroc,
quant à lui persiste dans ses allégations
mensongères visant à impliquer l’Algérie comme
partie au conflit alors que les Nations unies ont clairement
défini les parties, le Front POLISARIO et le Maroc qui, sous ses
auspices, ont négocié et accepté le Plan de
règlement onusien en 1991 par lequel la MINURSO s’est
déployée dans le territoire. C’est, également sous
les auspices de l’ONU que les deux parties au conflit ont
négocié et signé, en 1997, les accords de
Houston.
En
dépit des manoeuvres marocaines faisant croire que
l’Algérie à des prétentions sur le Sahara
Occidental, ce pays, au même titre que la
Mauritanie, est considéré par l’ONU et le
Conseil de sécurité comme pays observateur. Tout le monde
sait que l’Algérie a soutenu tous les mouvements de
libération que ce soit en Afrique, en Asie ou en Amérique
latine. Peut-on parler de prétentions lorsque l’Algérie
apporta son soutien à la Namibie, à Belize,
à la Palestine, au Timor-Est ? Le soutien de
l’Algérie aux peuples colonisés est un signe de
fidélité à son histoire et un attachement au
principe d’autodétermination et de liberté dont les
Algériens connaissent le prix.
Al Alam : En tant que Mauritanien, je ne peux que vous demander quel est le rôle que vous attendez de nous ?
Ali Salem Tamek
: Les deux peuples frères sahraoui et mauritanien sont unis par
des liens historiques d’amitié et de fraternité qui
font que les deux peuples soient les plus proches de la région,
notamment si l’on considère les traditions, les coutumes, les
liens culturels et linguistiques. Depuis la reconnaissance de la
République Arabe Sahraouie Démocratique par la
République Islamique de Mauritanie en 1984, les relations entre
les deux pays se sont renforcées surtout après le
cessez-le-feu en 1991 qui a favorisé un
échange de visites important de la population des territoires
occupés et des Campements en direction de la Mauritanie et vice
versa. Les changements intervenus en Mauritanie et les mutations
profondes que connaît votre pays dans tous les domaines
reflètent une forte volonté de la part de la nouvelle
direction politique d’instaurer et de promouvoir une
véritable démocratie qui permet à la Mauritanie un
développement durable et aux Mauritaniens de
développer leurs aptitudes créatrices, et partant
contribuer à édifier et à faire progresser la
société. Les relations entre les peuples sahraoui et
mauritanien ont connu un nouvel essor avec la création par
des intellectuels, des responsables de la société civile
ainsi que des hommes politiques mauritaniens de la ligue
mauritanienne de soutien au peuple sahraoui, présidée par
M. Mohamed Vall Mila. Cette ligue, à laquelle je tiens à
rendre un hommage mérité, contribuera sûrement au
renforcement de cette relation qui unit nos deux peuples frères
et voisins. Je souhaite, enfin, au peuple frère mauritanien
beaucoup de succès et de progrès, notamment dans cette
étape.
Al Alam : Un dernier mot ?
Ali Salem Tamek
: Tout en remerciant le journal Al Alam et toute
l’équipe, je suis persuadé que le message objectif
véhiculé par les femmes et les hommes libres qui
composent ce journal, constitue une garantie essentielle pour la
préservation des changements majeurs et hautement positifs que
connaît votre pays, et qui garantiraient au peuple mauritanien un
avenir plein de promesses.
[trad. MhC. pour arso]
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